Les Pompadouriques
Les pompadouriques
France, quel affreux précipice
T’environne de tous côtés.
Eh quoi ! faut-il que tout périsse
Dans ces temps de calamité ?
Triste et malheureuse contrée
Te verra-t-on toujours livrée
A tes plus cruels ennemis ?
Faut-il te voir, destin funeste,
Le peu de lauriers qui te reste
Par tes propres enfants flétris ?
Loin d’ici, fille de mémoire,
Dont le pinceau dans tous les temps
Traça la glorieuse histoire
De nos ancêtre triomphants.
L’infernale Alecto m’inspire,
J’entre dans un affreux délire.
Quels objets s’offrent à mes yeux ?
C’est au flambeau des euménides
Que de cinq ministres perfides
Je lis les crimes odieux.
Sous l’impérieuse tutelle
D’un amour honteux de surcroît
Une basse et vile mortelle
Gouverne le premier des rois.
Sur l’intrigue et sur l’artifice
Elle a bâti tout l’édifice
De son pouvoir exorbitant.
Ses caprices et sa faiblesse
De son orgueil, de sa bassesse
Sont les emblèmes effrayants.
Du titre le plus respectable1
Elle a décoré son néant ;
Son âme avide, insatiable,
Obtient tout d’un roi fainéant.
Cette impitoyable furie
Du poison de la flatterie
Enivre son trop faible amant.
Leurs cœurs se livrent à l’ivresse
D’une crapuleuse mollesse,
Honte et tombeau du sentiment.
Toi qui, de l’ardente jeunesse
Joint les fougueuses passions
Au délire de la vieillesse
Qui règne dans tes actions,
Qui d’une avarice exécrable,
D’une ambition détestable,
Et d’un sot orgueil dévoré
Sans autre loi que tes caprices
Nous montre l’empire des vices
Sur un cœur qu’ils ont ulcéré.
Fouquet2
, du sacré nom de père
Ridicule profanateur,
Seul auteur de notre misère
Sous le titre de protecteur,
Un fils, ton auguste espérance,
A pour le malheur de la France
Scellé tes crimes de son sang.
Poursuis, ce n’est pas tout encore
Viens, amour, épuiser le flanc
Du triste Français qui t’abhorre.
Mais quel est ce monstre sauvage
Qui de nos vaisseaux engloutis
Dans plus d’un éclatant naufrage
Vient anéantir les débris ?
C’est cette vile créature3
Qui, par une double imposture,
Parvient à se faire écouter
Libre de tous remords frivoles
Il osa frapper son idole
Il l’outragea pour la flatter.
Longtemps sa fatale existence
A langui dans l’obscurité
Qui nous déroba sa naissance
Mais, malgré sa rusticité,
L’ambition le sollicite
Par sa famille il s’accrédite,
Il forme le coupable vœu
De primer la magistrature
Et sourd au cri de la nature,
Détruit l’oncle par le neveu3
.
Poursuis, si la mort ne t’arrête,
Tu rempliras tes noirs projets.
Vois déjà Choiseul qui s’apprête
A couronner tous tes forfaits.
Ne crains point son air d’impudence,
Il mérite ta confiance,
Juges-en par ton propre cœur.
Ce grand, né sans vertu guerrière,
Fit d’incestes et d’adultères
Les échelons de sa grandeur.
Des jeux d’un amour impudique
Il instruit sa coupable sœur4
,
Déjà cette femme lubrique
De son maître attaque le cœur,
Et tandis que son lâche frère
Étend les voiles du mystère
Dont il veut les envelopper,
Au comble de la perfidie
Ce monstre à son tour sacrifie
Sur l’autel qu’il veut renverser5
.
Par une honteuse alliance6
Qui nous a coûté tant de sang
Il parut prendre la défense
De son protecteur chancelant7
.
Mais en préparant sa disgrâce,
Il mérita sa propre grâce
Et n’écoutant ni frein, ni loi,
Ce monstre en sa lâche furie
Trahit à la fois sa patrie,
Sa sœur, sa maîtresse et son roi.
Et toi, vil instrument du crime,
Pourceau dans la fange enivré8
,
Qui des grandeurs touche la cime
Pour y languir déshonoré,
Dégradant ta noble origine
A ton indigne Messaline9
.
Va prodiguer tous tes bienfaits
Pour contenter son avarice
Joins les grâces aux injustices,
Tu ne l’assouviras jamais.
- 1Elle venait d’avoir le brevet de duchesse. (M.)
- 2Maréchal de Belle-Isle (M.)
- 3 a b M. Berryer, secrétaire de la marine ; il persuada à Mme de Pompadour pour gagner sa protection, qu’on imprimait une satire contre elle en Hollande, ce qui était faux. (M.)
- 4La duchesse de Gramont, sa sœur. (M.)
- 5Mme de Pompadour ave qui il était en intrigue. (M.)
- 6Le traité de Versailles (M.)
- 7Le cardinal de Bernis (M.)
- 8Le comte de Saint-Florentin (M.)
- 9Mme Sabatier, sa maîtresse (M.)
Arsenal 3128, f°377r-377v