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L'Amérique

L’Amérique
Quand de ce fier Colomb la nef audacieuse
Franchit de l’Océan la route périlleuse,
Et d’un monde de plus enrichit l’univers,
Tout l’Occident surpris admira ses prodiges,
Et cent nouveaux Jasons, marchant sur ses vestiges,
Traversèrent les mers.

Mais le démon de l’or, qui leur servait de guide,
Arma le bras cruel de l’épée homicide
Sous laquelle expira l’innocent égorgé ;
Et, telle est des humains la fureur déplorable !
À peine découvert, ce monde misérable
Fut pris et ravagé.

Neptune, retiré dans ces mers écartées,
Ne put voir sans douleur ses eaux ensanglantées,
Les cadavres fumants et l’airain furieux,
Dont le son ébranlait ses cavernes profondes,
Et ces châteaux mouvants qui surchargeaient ses ondes
De leur poids odieux.

Cependant le zéphyr, en agitant ses ailes,
Enflait d’un vent heureux les voiles criminelles
Qui traînaient sur les mers ces farouches héros ;
Quand le Dieu s’abandonne à sa juste colère,
Et d’une voix pareille à celle du tonnerre,
Leur adresse ces mots :

Avare Européen, ô détestable race !
En vain, te dérobant la dangereuse trace
D’un chemin qui, pour toi, ne dut jamais s’ouvrir,
Ma main creusa des mers les gouffres effroyables ;
Il n’est rien que pour l’or tes vœux insatiables
Ne sachent découvrir !

Dès le temps où se fit le partage du monde,
Dans ces lieux éloignés, sous l’abri de mon onde,
Les Indiens vivaient libres et fortunés ;
Et moi-même, des vents arrêtant l’insolence,
J’imposai sur ces bords un éternel silence
Aux autans déchaînés.

C’est toi, c’est ta fureur impie et sanguinaire
Qui, lasse de chercher dans un autre hémisphère
Des lieux assez cachés qu’elle pût ravager,
Parcourt tout l’univers pour trouver des victimes,
Et sur l’aile des vents vient apporter ses crimes
Sous un ciel étranger.

Déjà sur les débris de la triste Amerique
Ta main ose fonder l’empire tyrannique
Qui prolonge le cours de tes iniques droits,
Et l’univers confus voit l’horrible spectacle
D’un monde forcené soumettant sans obstacle
Tout un monde à ses lois.

Mais ma fureur enfin, trop longtemps différée,
Rappellera du ciel la liberté sacrée :
Je la vois dans Boston placer ses étendards ;
Elle appelle d’un cri tout un peuple innombrable,
Et les mortels émus à sa voix secourable
Volent de toutes parts.

D’un roi que j’ai choisi la justice tranquille
Sera de leur valeur l’auguste et sûr asile.
Les pavillons flottants de ses nombreux vaisseaux
Sur mon heureux empire ont remis l’équilibre,
Et l’Europe, à la fin, s’ouvre une route libre
Au travers de mes eaux.

O France ! Ô Washington ! remplissez mes vengeances ;
De l’Ibère cruel réparez les offenses ;
Mais, servant les mortels assurez leur bonheur ;
Que la foudre en vos mains soit comme le tonnerre,
Quand il purge les airs et qu’il rend à la terre
Sa première fraîcheur !

Et toi, fière Albion, en proie à mille alarmes,
En vain tu recourras à tes coupables armes,
A l’aspect de Louis, je te vois succomber ;
Tu mesures de l’œil un affreux précipice,
Mais l’univers enfin, las de ton injustice,
T’y laissera tomber.

Numéro
$1487


Année
1781




Références

Raunié, X,1-4