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Plainte de Dulis au Parlement de Paris

Plainte de Dulis au Parlement de Paris

Vigilants protecteurs des sûretés publiques,

Exigeait-on de vous la mort d’un malheureux ?

Pourquoi s’autoriser d’ordonnances antiques

Pour lancer un arrêt à l’excès rigoureux ?

Du pouvoir de juger votre sénat se joue.

Le cas dont il s’agit n’allait point à la roue.

Il est mal mesuré sur le texte des lois

Qui montre aux clairvoyants l’intention des rois.

Leur clémence s’étend même sur les grands crimes

Et c’est avec douleur qu’ils voyent des victimes.

Ni loi, ni jugement d’aucune nation

Ne punit de la mort la machination

Qui ne laisse entrevoir qu’une vaine entreprise

Dont bientôt les excès se trouvent dissipés.

Le temps calme les cœurs les plus préoccupés.

Avouez franchement, graves magistrats,

Qu’il n’est aucun de vous insensible aux ingrats

Ou plutôt qu’il ne soit avec juste raison

Ennemi des méchants et de la trahison.

Les hommes sont jaloux des tyrans de leurs âmes.

Ce sont, comme vous savez, les attrayantes femmes

Qui du fier ascendant qu’elles prennent sur nous

Savent tout amener à leurs faibles genoux,

Des héros les plus grands découvrant les faiblesses

Jouissent en riant de leurs folles tendresses.

Ce sexe fait mouvoir tous les ressorts humains ;

Sceptres et tribunaux, tout fléchit sous leurs mains.

Voilà l’écueil fatal du généreux d’Ulisse.

Il a comblé de biens sa séduisante actrice

Qui, pour remerciement de toutes ses bontés,

Exerçait sous ses yeux ses infidélités,

Et vous devenez convenir, sages magistrats,

Qu’on doit être irrité d’un aussi vilain cas

Jusqu’à vouloir tenter d’en obtenir raison :

La vengeance fut toujours le péché mignon

Les grands en sûreté en ont la jouissance ;

Le reste doit souffrir avec patience.

Les premiers sont en tout par eux autorisés ;

Les derniers sans appui sont toujours menacés.

Mais sur la vérité, parlez avec licence ;

C’est en quelque façon savourer la vengeance.

Ce discours aurait l’air de machination.

Laissons régner en paix la subordination.

C’est pour l’humanité, preuve de sa misère,

Et ce frein tient tout en bride sur la terre.

Revenons au projet sans exécution,

Pitoyable sujet de condamnation.

Ah ! trop cruel arrêt ! fausse jurisprudence,

Justice de rigueur du glaive sans balance

D’exemples scandaleux furieux jugement,

Du grand juge de tout objet de châtiment.

Il n’est aucun de vous qui ne fût susceptible

De vouloir se venger s’il n’était insensible

J’en atteste l’aveu qu’en font tous les humains,

Et d’un tel jugement, lavez-vous tous les mains.

Numéro
$6513





Références

Besançon BM, MS 561, p.126-27


Notes

Affaire du juif Dulis et de la Dllle Pelissier. L'homme de main de Dulis, envoyé pour assassiner le musicien Francoeur, amant de la Pelissier, fut rompu vif pour la seule intention du meurtre.