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Réponse publiée sous le nom de M. de Voltaire Aux Épîtres du Diable

Réponse publiée

Sous le nom de M. de Voltaire

Aux Épîtres du Diable

 

Enfants de l'ombre, infernale séquelle,

Anges maudits, noirs tyrans des humains,

Quoi ! vous sortez de la nuit éternelle,

Pour griffonner des Vers si peu malins,

Et contre moi faire un si plat libelle !

Ce n'était pas la peine assurément.

Or, dites-moi, dieux de la Diablerie,

Comment j'ai pu m'attirer, je vous prie,

De votre part un si beau compliment.

Me voyez-vous, satirique farouche,

Sur la vertu répandre un fiel amer ?

M'entendez-vous, d'une profane bouche,

Louer des gens qu'on ne peut estimer ?

Ai-je traduit cette illustre prière

Que Pope fit ? Ai-je, par charité,

Un certain jour de fête littéraire,

Où les élus de la docte chimère

Me permettaient d'être avec eux compté,

Pour remerci, désigné mon confrère

Comme ennemi de la Divinité ?

Ai-je à la Cour, à qui tout prête à rire,

Dans un discours aussi plat qu'ennuyeux,

Lardé des traits d'une lourde satire,

Vanté mon rang, mes vers et mes aïeux ?

Ai-je vanté ce jour épouvantable,

Ce jour affreux, où des Prêtres cruels,

Remplis par vous d'un zèle impitoyable,

Pour plaire à Dieu, massacraient les mortels ;

Ou, plus affreux que l'affreux despotisme,

Surplis au dos, crucifix au côté,

Les yeux en feu, l’horrible Fanatisme,

Couvert de sang, parlait d'humanité ?

Ai-je, aveuglé par une erreur barbare,

Au rang des Saints placé ce monstre affreux,

De la nature excrément ténébreux,

Formé par vous dans l'horreur du Tartare,

Vil assassin, dont le bras meurtrier

Osa plonger un parricide acier

Au sein d'un Roi, le meilleur de la France,

Dont j’ai jadis célébré la clémence,

Et dont, hélas ! le souvenir vainqueur,

Tout mort qu'il est, vit encor dans mon cœur.

Qu'ai-je donc fait, qui puisse, à juste titre,

De mon vivant, m'attirer ce bonheur ?

J’ai beau rêver, sonder ; sur mon chapitre

Je ne vois rien digne d'un tel honneur.

Certainement, sur son brûlant pupitre,

Votre Greffier a commis une erreur.

Que j'en connais, dans ce séjour d'horreur,

À qui bien mieux conviendrait votre épître !

Aliboron, dont le métier fatal

Est d'inventer chaque jour des injures ;

Mons Abraham, qui, non moins infernal,

D'un air dévot vomit des impostures ;

Père Trévoux, qui, dans un plat journal,

Décriant tout d'un style assez gothique,

Et dénonçant chaque auteur hérétique,

Prêche le bien et sait toujours le mal :

Voilà, Messieurs, voilà les personnages,

Les vrais héros dignes de vos hommages.

Pour Palissot, il est assez puni ;

Je n'en dis rien. Bien mieux vaudrait pour lui

Que le Parterre eût sifflé ses ouvrages,

Et qu'il n'eût point aussi bien réussi.

Cet imposteur, dans sa folie extrême,

Voulait noircir, et s'est noirci lui-même.

Que j'aurais ri, si, sous les traits charmants

D'une beauté jeune, fraîche et fringante,

En falbalas, en beaux ajustements,

En vermillon, en parure éclatante,

Telle qu'on peint, dans ce tripot brillant,

Fait pour l'amour, la danse et la musique,

De maints tendrons cette troupe lubrique,

Prête toujours à duper le traitant ;

Ou tels qu'un saint et digne anachorète,

Pour le tenter, vous vit dans sa retraite ;

Si sous ces traits, mes yeux vous avaient vus !

Ma chair est faible ; et mon cœur, encor tendre

De vos attraits n'aurait pu se défendre ;

A bras ouverts, je vous aurais reçus.

Mais vous joignez à laideur de satyre

L'esprit tortu du plus âpre bigot,

Sans réunir, dans cet écrit falot,

Les traits saillants au dessein de médire.

Votre air hideux et votre sombre humeur

Loin de me plaire, épouvantent mon cœur.

En vérité, pardon, Messieurs les Diables !

Je vous croyais, sur ma foi, plus aimables.

Vous n'avez point cette franche gaîté,

Ce ton plaisant, ce rire sardonique,

Dont j'ai longtemps cru votre esprit doté ;

Mais le ton dur, sombre et mélancolique

Qui sur vos vers règne avec gravité,

Rend bien moins fort et bien moins diabolique

Le coup fatal que vous m'avez porté.

Dans les accès d'une risible ivresse,

L'un de vous dit que je suis malheureux :

O mes enfants ! puis-je l'être en des lieux

Où les Gauchats et gens de cette espèce,

N'osent jamais se montrer à mes yeux.

Vous croyez donc m'avoir en l'autre monde,

Et que mon âme, en malice féconde,

Ira tout droit rôtir entre vos mains ?

Vous vous trompez, petits dieux inhumains.

Je vais plutôt, refondant ma nature,

Marcher nus pieds et coucher sur la dure,

Et me fesser, et prier et jeûner,

Pour attendrir la clémence infinie

D'un Dieu toujours facile à pardonner,

Et n'être pas en votre compagnie.

Rois du mensonge et de la calomnie,

De me noircir vous vous faites un jeu.

Tout au plus tôt quittez donc la partie ;

Car, en honneur, vous réussissez peu.

Allez, rentrez dans la nuit éternelle,

Où dès longtemps Dieu vous a condamnés,

Et cachez-y ces vers et ce libelle,

Faits pour l'oubli dès l’instant qu'ils sont nés…

Mais, après tout, Messieurs du sombre empire,

Pas de sitôt ne quittez cet emploi :

Qui du Très-Haut jadis osa médire,

Peut, sans danger, médire aussi de moi.

Médisez donc ; mais médisez, par grâce,

Un peu gaiement. Allons, de la gaîté.

La seule joie est le baume efficace

Qui fait en moi circuler la santé.

Ou si, du moins, quand vous voudrez écrire,

Vous ne pouvez vaincre la gravité,

Et si toujours par vos vers attristé,

En les lisant, je bâille au lieu de rire,

Attendez donc qu'à mes yeux pour jamais

Du Dieu du Ciel la clarté sait ravie ;

Et laissez-moi, Messieurs, couler en paix

Le peu de jours qui me restent de vie.

Numéro
$6645


Année
1762

Auteur
Auteur inconnu ayant pris le nom de Voltaire



Références

Poésies satyriques, p.73-78 - Satiriques du dix-huitième siècle, p.141-46


Notes

Réponse à $6643