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Parodie de Bajazet

Parodie de la scène de la tragédie de Bajazet de Racine1
Roxane à Acomat
Malheureux Acomat, triste jouet du sort
Qui n’attends désormais que la honte ou la mort,
Aurais-tu jamais cru que l’aveugle fortune
Me ferait avec toi une cause commune ?
Quand, esclave soumis de mes moindres désirs
Tu n’avais d’autres soins que ceux de mes plaisirs ?
Ce temps n’est pas bien loin, et ma grandeur passée
Vient à chaque moment se peindre à ma pensée
Souveraine au sérail, maîtresse du sultan,
Gouvernant à mon gré tous les chefs du Divan
De la faible Assaky [?] craignant peu la cabale,
Ayant su rabaisser l’orgueil de ma rivale,
Je me voyais enfin au comble de mes vœux,
Lorsqu’un affreux revers nous accabla tous deux.
Toi, qui me mis cent fois dans les bras de ton maître
En l’état où je suis peux-tu me reconnaître ?
Trop fidèle Acomat, de quel œil peux-tu voir
L’amante du sultan, sans appui, sans pouvoir,
Proscrite injustement, victime d’un faux zèle ?
Toi-même poursuivi en esclave rebelle,
Exilé du sérail, privé de tes emplois.
Eh ! qui peut donc compter sur l’amitié des rois ?
Quel indigne retour, quel prix de tes services !
De tes soins obligeants à lui voiler ses vices,
Ton zèle, mes transports prévenant ses soupirs,
Conduisaient mon ingrat de plaisirs en plaisirs.
Tout finit, Acomat ; aujourd’hui le barbare
Malgré tant de bontés contre moi se déclare ;
Son amour fait mon crime et pour mieux me punir
Il veut, dit-on, chasser jusqu’à mon souvenir.
Ah ! grand Dieu ! mais dis-moi crois-tu qu’il soit possible
Qu’à mes larmes il demeure toujours insensible ?
Peut-être que ces traits qui charmèrent son cœur
Seront assez puissants pour finir mon malheur ;
Un amour mal éteint peut aisément renaître.
Aux regards du sultan j’oserais reparaître ?
Je connais ses penchants, son cœur fait pour aimer
A mon premier coup d’œil pourra se désarmer,
Et que le peuple alors tonne, éclate, conspire,
J’aurais toujours pour moi les plus grands de l’empire.
Bientôt même à mes pieds mes cruels ennemis
Brigueront mes bontés, repentants et soumis,
Mais plus je me verrai de puissance et de gloire,
Moins d’un affront reçu je perdrai la mémoire.
Je veux bien t’avouer, l’éclat de la grandeur
Pour mon cœur ulcéré aurait peu de douceur
S’il fallait en jouir sans venger mon outrage.
La couronne à ce prix serait un esclavage.
Acomat, d’un sultan je veux fléchir le cœur.
Si j’y parviens crois-tu que ma juste fureur
Punira faiblement les auteurs de ma peine ?
Je veux que tu frémisses aux effets de ma haine.

  • 1Autre titre: Parodie imitée de la tragédie de Bajazet où l'on fait parler Mme la duchesse de Châteauroux sous le personnage de Roxane… (Arsenal 3133).

Numéro
$3207


Année
1744 septembre




Références

Clairambault, F.Fr.12712, p.211-14 - Maurepas, F.Fr.12647, p.383-85 - F.Fr.10477, f°138-39 - F.Fr.13658, p.199-01 -F.Fr.15140, p.215-17 -  Arsenal 3133, p.543-45 - Bois-Jourdain, II, 249-51