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Adieux au Parlement

           Adieux au Parlement1
Parisiens, pleurons très fortement.
Dieu le permet, notre perte est certaine.
On nous ravit notre doux Parlement2 ,
Las ! il s’en va courir la pretentaine3 .

Pas ne voulait à maint trompeur édit4
Prêter la main5  ; admirez, je vous prie,
Nostradamus nous l’avait bien prédit.
Sur le Pont-Neuf lisez la centurie :

Quand adviendra que putes et maquereaux6 ,
Gouverneront la nation gauloise,
Gens du Sénat, bridés comme des veaux,
La paille au cul, regagneront Pontoise.

Rois, princes, ducs, bourgeois, jeunes et vieux,
C’est à ce jour qu’il nous  faut tous entendre
Du Parlement les très tristes adieux.
En vérité cela fait le cœur fendre.

Adieu, Louis, notre père à tretous
Nous vous aimons de cœur et de franchise :
Vous nous chassez ; nenni, ce n’est pas vous,
Monsieur votre oncle a commis la sottise.

Est-ce bien lui ? Là, non pas tout à fait.
De faire un crime il n’a pas le courage,
Sans Noailles, notre Dauphin vivrait7 .
Sans Law aussi, ne changerions de cage.

Par les leçons de sa chaude maman
Le duc borgnon8 a fait ce beau miracle ;
Il jure Dieu, tranche du capitan,
Le Régent tremble et Law est au pinacle.

Adieu, pourtant, petit-fils de Condé,
Châtre Lassay9 , ou fais boucler ta mère.
Law est par toi dignement secondé,
Mais tu n’as pas un trait de ton grand-père.

Adieu vous dis, adorable bossu10 ,
Cher prince, hélas ! vous pensez à merveille.
Au départir nous vous aurions tous vu,
Mais au bordel vous couchâtes la veille.

Laisse la Prie11 engloutir notre argent ;
Viens, Parabère12 , et joue un plus beau rôle ;
Sauve l’État, conseille à ton Régent
De quitter Law, Le Blanc13 et la vérole.

Cher d’Aguesseau14 , c’est enfin notre tour,
Notre vertu pesait trop à nos maîtres ;
Que Dieu nous gard' que l’ennui du séjour
Pour revenir fasse de nous des traîtres.

En vous quittant, ô Law, nous pleurons tous.
Pour vous revoir nous ferez-vous attendre ?
Sur notre foi nous penserons à vous.
Comptez sur nous lorsqu’il faudra vous pendre.

  • 1Autres titres: Les lamentables regrets sur l’exil du parlement de Paris, avec les adieux pitoyables (Arsenal 2961) - Sur les tristes adieux du Parlement (Arsenal 3231)
  • 2Doux, il ne l’est devenu que par force, après l’exil et le lit de justice. (R)
  • 3« Ces adieux font bien connaître le caractère du temps et des personnages, et méritent d’être mis parmi les chansons historiques, que les Français ont toujours aimées. Cela est d’un homme de la cour et d’un poète, » écrit Marais dans son Journal, auquel nous empruntons l’annotation de cette pièce. (R)
  • 4Edit trompeur, très bien nommé. (R)
  • 5Prêter, terme du chancelier. (R)
  • 6Broglie, Nocé et autres. Parabère, etc. (R)
  • 7Ironie sanglante : on dit qu’il donna une tabatière empoisonnée au feu duc de Bourgogne. (R)
  • 8M. le Duc, qui est borgne. Arouet a dit sur lui : Au royaume des aveugles les borgnes sont rois. (R)
  • 9Lassay, amant de Mme la duchesse mère. (R)
  • 10Prince de Conti. On lui reproche de hanter les mauvais lieux. Il avait pris parti contre Law, et le jour de la translation on le crut arrêté. (R)
  • 11Mme de Prie, maîtresse de M. le Duc. (R)
  • 12Mme de Parabère, maîtresse du Régent ; il vient de passer par les remèdes. (R)
  • 13Le Blanc, secrétaire d’État de la guerre. (R)
  • 14Le chancelier traître pour revenir de Fresne. (R)

Numéro
$0376


Année
1720 (Castries) / 1722




Références

Raunié, III,189-91 - Clairambault, F.Fr.12697, p.405-407 (avec air noté) -Maurepas, F.Fr.12630, p.247-49 -  F.Fr.15141, p.99-101 - Arsenal 2961, p.622-25 - Arsenal 3231, p.527 - F.Fr.12500, p.235-37 - F.Fr.13655, p.175 (avec de nombreuses notes) - BHVP, MS 670, f°40-41v (couplets 1-4) - BHVP, MS 703, f°14r-14v - Mazarine Castries 3983, p.7-10 - Marais, I, 196-97 - Besançon BM, MS 561, p.52-53 - Barbier-Vernillat, III, 85-86