L'Affaire des avocats
L’affaire des avocats1
Or écoutez, petits et grands,
Un des plus tristes accidents.
Grande sera votre surprise
Quand vous apprendrez l’entreprise,
Et puis après, le piteux cas
De Nos Seigneurs les avocats2
.
Le Parlement s’est oublié
Envers ce corps si respecté,
Dont chaque membre se dit maître ;
C’est ce qu’on oubliait peut-être,
Au lieu de respecter leurs droits,
On leur a donné sur les doigts.
Or donc le corps porte-rabat
A cru faire un grand coup d’État,
Voyant que, malgré ses services,
On lui faisait des injustices,
Lui, qui n’est ni bête ni sot,
A dit qu’il ne dirait plus mot.
Adieu donc, adieu pour toujours
Ces plaidoyers, ces beaux discours,
Qui faisaient dormir d’importance
Les conseillers à l’audience
L’opium va bien renchérir,
Plus d’avocats pour endormir !
A peu près ainsi se vengea
Coriolan, ce grand fier-à-bras.
Mais on dit que sa chère femme
Sut bien tranquilliser son âme.
Adressons-nous donc, en ce cas,
Aux femmes de nos avocats.
Elles ont très grand intérêt
A ce que l’on fasse la paix.
Plus que nous elles seraient dupes,
Car qui leur fournirait des jupes ?
De quoi sont faits leurs beaux jupons ?
De plaidoyers et de factums.
S’ils persistent dans leurs refus,
Ils seront, ma foi ! bien camus ;
Le Roi, pour grossir son armée,
Les fera marcher cette année ;
On nommera ces fantassins,
Le régiment des braillardins.
Ils endormaient le Parlement,
Ils feront trembler l’Allemand,
Comme ils ont tous la voix très forte,
Ils gueuleront de bonne sorte ;
La voix de ces nouveaux centaures,
Vaudra la trompette et le cor.
Un des plus sages de nos rois,
En aurait dû croire autrefois
Le brave monsieur de Sigongne3
;
C’eût été très belle besogne,
Qu’on eût changé ces avocats,
En soudards, ou bien en goujats.
Adieu ! Le Roy4
, Prévost, Le Grand5
,
Je vous fais bien mon compliment ;
C’est vous qui mènerez la bande,
Vous méritez telle prébende,
Vous braillerez comme perdus,
Sans qu’il en coûte à nos écus.
- 1Autre titre: Chanson nouvelle au sujet des avocats du parlement de Paris. Juillet 1735. Pris sur l'imprimé. (Clairambault)
- 2 - « Querelle entre le Parlement et les avocats. Ceux-ci, qui ne veulent plus céder à qui que ce soit, prétendent que quand Messieurs les avocats généraux parlent pour le Roi ou pour le procureur général en son nom, il ne doit plus y avoir de distinction entre eux, non seulement que l’avocat général appelant ou opposant doit parler le premier, ce qui s’observe effectivement, mais après doivent être en même place et de niveau. » (Journal de Barbier). Le 25 mai, à la suite d’un incident survenu à la cinquième chambre des enquêtes, la plupart des avocats décidèrent de cesser leurs fonctions. Mais tous ne furent point de cet avis. Après de longs pourparlers entre les deux factions de l’ordre, l’opinion des plus modérés prévalut, et les avocats rentrèrent au palais le 23 juillet. (R)
- 3On avait fait courir dans le public un feuillet in‑4° imprimé qui avait pour titre : Extrait du second tome des Mémoires de Sully, vers le milieu du onzième chapitre. Cet extrait n’était autre que la relation du démêlé des avocats avec le Parlement en 1602, lorsqu’il leur fut ordonné par arrêt de donner quittance des honoraires reçus et récépissé des pièces de procédure remises. Les avocats venaient de déposer leurs chaperons au greffe et de cesser leurs plaidoiries, lorsque M. de Sigongnes, avec qui Henri IV s’entretenait de cette affaire, après s’être emporté contre « les clabauderies affinées et les ruses pédantesques de telle racaille », suggéra au roi un moyen expéditif pour les mettre à la raison. « Que si l’on ne veut point se passer d’eux, disait‑il, que l’on leur ordonne de continuer leur vacation ordinaire dans huit jours, sous les conditions et règles apposées par la cour, et à faute de ce faire, qu’ils ayent à se remettre tous au trafic et à l’agriculture d’où ils sont sortis, ou de s’en aller, avec un mousquet sur le col, servir en Hollande, contre les ennemis de l’Estat, car lors l’on les verra courir pour reprendre ces magnifiques chaperons comme vermine sur un tas de froment. » (R)
- 4Adieu, Cochin, Aubry, Normant (F.Fr.12785)
- 5Tous trois avocats au Parlement. (M.) — C’était l’avocat Le Roy qui avait fourni à ses confrères l’occasion impatiemment attendue par eux pour entrer en lutte ouverte avec le Parlement ; voici dans quelle circonstance : « On plaidait à la cinquième chambre des enquêtes, dans laquelle n’y ayant point de banc particulier pour messieurs les gens du Roi, quand ils y viennent, on leur a permis de s’asseoir après le dernier conseiller. M. Le Roy ne trouvant pas bon que M. Joly de Fleury, fils du procureur général, plaidât dans l’enceinte du barreau, tandis qu’il était en dehors, s’était glissé dans une audience et était entré en plaidant dans l’enceinte ; l’avocat général a fait apparemment des remontrances et il a été arrêté à la chambre qu’on ferait plaider l’avocat à sa place ordinaire. Le 25, jour de la dernière audience, quand M. Le Roy voulut entrer, il trouva la barre mise et un huissier qui l’empêcha de passer. L’avocat général parlait, M. Le Roy fit sa plainte et se retira. Il alla tout de suite dans la grande salle assembler les avocats qui y étaient, et il fut délibéré qu’on ne plaiderait, ni qu’on n’écrirait plus à la cinquième chambre, et qu’on ne communiquerait plus au parquet que dans certaines affaires. » (Journal de Barbier). Toutes les autres chambres prirent le parti de la cinquième ; la lutte devint générale et n’eut pour résultat que de réduire à néant les ridicules prétentions des avocats. (R)
Raunié, VI,113-17 -Clairambault, F.Fr.12705, p.283-85 -Maurepas, F.Fr.12633, p.363-65 - F.Fr.12682, f°160v - F.Fr.13661 (imprimé à la suite de £0204, Amnistie en faveur des avocats du Parlement de Paris - Clairambault, F.Fr. 12705, p.283-85 et 337-40 - F.Fr.12785, f° 130 - F.Fr.15147, p.252-57 - F.Fr.25570, p.663-64 - Mazarine Castries 3986, p.40-43