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Le Pater du Régent

Le Pater du Régent1
Grand Dieu, je confesse mes crimes,
Je sais qu’il faut les condamner,
Qu’ils méritent les noirs abîmes,
Et je n’ose plus vous nommer
Pater noster.

Hélas ! pourrais-je encore attendre
Quelque heureux effet de vos coups,
Et pourriez-vous encor m’entendre,
Puisque je suis si loin de vous,
Qui es in coelis ?

Pouvez-vous sauver un coupable
Qui se moque de votre loi,
Et dont l’orgueil insupportable
Voulait ouïr chanter pour soi
Sanctificetur ?

Oui, par un dessein téméraire
J’ai voulu m’ériger en Dieu ;
Je voulais lancer le tonnerre
Et faire oublier en tout lieu
Nomen tuum.

Déjà, pour me rendre insensible,
Je me plongeais dans la torpeur,
Et ce qui semblait impossible
Coûtait seulement à mon cœur
Adveniat.

Et quoique l’argent des provinces
Grossît tous les jours mon trésor,
Je ne voyais jamais mon prince
Sans dire : Il me faudrait encore
Regnum tuum.

J’affectais tant de prudence,
Que je me faisais des sujets,
Et leur flatteuse obéissance
Répondait à tous mes souhaits.
Fiat voluntas tua.

Mes sens charmés de ces délices
Ne consultaient plus la raison,
Et plongé parmi tant de vices
Je croyais être en ma maison
Sicut in cœlo.

Enfin, quoi que je m’imagine,
Je ne saurais tromper mes yeux ;
Malgré moi je tombe en ruine
Prêt à ramper dans les bas lieux
Et in terra.

J’entends tout le peuple qui crie :
Otons ce tyran des humains
Allons, jetons à la voirie
Celui qui nous ôte des mains
Panem nostrum quotidianum.

Il craint si fort que mon supplice
Ne se diffère quelque peu,
Qu’il me demande à la justice
Avec mille cris pleins de feu ;
Da nobis hodie.

C’est trop, dit-il, le laisser vivre,
Justice, vos traits sont trop doux.
Déchirez promptement ce tigre,
Ou l’abandonnez à nos coups,
Et dimitte nobis.

Nous avons un droit légitime
Sur ce cruel et sur son sang,
Nos travaux ont nourri son crime,
Et nous pouvons le mettre au rang
Debita nostra.

Ne vous donnez donc plus de peine,
Ne prenez plus pour lui ce soin,
Et laissez agir notre haine
Car vous ne le connaissez point
Sicut et nos.

Faites qu’un arrêt équitable
Nous rende maîtres de son sort,
Et d’un esprit inexorable
Nous ne dirons qu’après sa mort
Dimittimus.

Employons toute notre rage
A le tourmenter vivement,
Car nous voulons venger l’outrage
Qu’il fit souffrir injustement
Debitoribus nostris.

C’est ainsi qu’un peuple en colère
Me prépare mille douleurs ;
Dieu, qui voyez ma misère,
Retirez-moi de ces malheurs,
Et ne nos inducas.

Soutenez mon âme abattue ;
J’appréhende qu’un désespoir
Ne me donne un coup de massue
Et ne me fasse à la fin choir
In tentationem.

Seigneur, soyez-moi donc propice,
Et me donnez un cœur contrit ;
Ne souffrez plus que je languisse
Sous la loi de mon propre esprit
Sed libera nos a malo.

Je sais qu’une faveur si grande
Peut seulement venir de vous,
Et que l’effet de ma demande
Vous fera connaître de tous.
Amen.

  • 1Autre titre: Paraphrase sur le Pater Août 1721 (Clairambault)

Numéro
$0468


Année
1721 / 1723




Références

Raunié, IV, 82-86 - Clairambault, F.Fr.12698, p.79-83 - Maurepas, F.Fr.12630, p.411-14 - F.Fr.13655, p.191-93 - Arsenal 2937, f°343r -346r - Arsenal 2962, p.43-49 - Arsenal 3231, p.615-20