Sans titre
Connaissez-vous les deux François1 ?
Tous deux faits pour donner des lois.
L’un sage et l’autre apôtre,
Hé bien !
Différents l’un de l’autre,
Vous m’entendez bien.
Le moderne toujours prudent
Du vieux s’est déclaré l’enfant,
Le vieux n’y gagne guère,
Hé bien !
Le fils fait tort au père,
Vous m’entendez bien.
Il a le propos séduisant,
Gai, profond, sublime, amusant,
Plein de sel et de grâce,
Hé bien !
Autre que l’efficace,
Vous m’entendez bien.
Il instruit et peuples et rois,
Plaît aux belles ; l’autre François
Pour tout talent sut croire,
Hé bien !
Et parvint à la gloire,
Vous m’entendez bien.
Il chantait cantiques hébreux,
Il fessait, baisait les lépreux,
L’autre baise autre chose,
Hé bien !
Surtout lèvres de rose,
Vous m’entendez bien.
Il regarde comme un abus
De se fesser, et si Momus
Lui prête sa marotte,
Hé bien !
C’est pour fesser Nonnote,
Vous m’entendez bien.
Il chante comme Anacréon,
Fait des villes comme Amphion,
Il n’a pour les construire,
Hé bien !
Besoin que de sa lyre,
Vous m’entendez bien.
De Ferney c’est le créateur ;
L’autre, enfanta dans le Seigneur
Des pères inutiles,
Hé bien !
Et des mères stériles,
Vous m’entendez bien.
Il avait tant d’humilité
Qu’il admit dans sa parenté
Les bêtes les moins fières,
Hé bien !
Les boucs étaient ses frères,
Vous m’entendez bien.
Pour calmer ses démangeaisons,
L’un couchant avec des glaçons
Parvint à se morfondre,
Hé bien !
L’autre les eût fait fondre,
Vous m’entendez bien.
L’un jeta là tout son argent,
L’autre use du sien noblement ;
L’un choisit l’indigence,
Hé bien !
L’autre la bienfaisance,
Vous m’entendez bien.
L’un rampa, brigua les mépris,
L’autre de la gloire est épris ;
L’un chrétienne chenille,
Hé bien !
L’autre éclaire qui pétille,
Vous m’entendez bien.
Qui pétille et pétillera
Encore vingt ans et coetera,
Heureuse colonie
Hé bien !
Aux dieux tu fais envie ;
Vous m’entendez bien.
- 1Je voulais vous parler d’une chanson que M. Gueneau de Montbelliard vient de composer en l’honneur du grand homme (c’est un surnom reçu) ; quoiqu’elle ne soit pas frappée au meilleur coin, l’intention vous la rendra peut-être agréable. Elle doit se chanter sur l’air : Où allez-vous Monsieur l’Abbé ? Il faut vous rappeler que M. de Voltaire se nomme François.
CSPL, II, 362-65