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Oraison funèbre de Louis XV

Oraison funèbre de Louis XV1
Te voilà donc, pauvre Louis
Dans un cercueil à Saint-Denis !
C’est là que la grandeur expire.
Depuis longtemps, s’il faut le dire,
Inhabile à donner la loi,
Tu portais le vain nom de Roi,
Sous la tutelle et sous l’empire
Des tyrans qui régnaient pour toi.

Etais-tu bon ? C’est un problème
Qu’on peut résoudre à peu de frais ;
Un bon prince ne fit jamais
Le malheur d’un peuple qui l’aime ;
Car on ne peut appeler bon
Un roi sans frein et sans raison,
Qui ne vécut que pour lui-même.

Voluptueux, peu délicat,
Inappliqué par habitude,
On sait qu’étranger à l’Etat,
Le plaisir fit ta seule étude.
Un intérêt vil en tout point
Maîtrisait ton âme apathique
Et le pur sang d’un peuple étique
Entretenait ton embonpoint.

On te vit souvent à l’école
De plus d’un fourbe accrédité,
Au mépris de ta majesté,
Te faire un jeu de ta parole ;
Au milieu même de la paix,
Sur l’art de tromper tes sujets
Fonder ton unique ressource
Et préférer dans tes projets
A l’amour de tous les Français
Le plaisir de vider leur bourse.

Tu riais de leur triste sort,
Et, riche par leur indigence,
Pour mieux remplir ton coffre-fort
Tu vendais le pain de la France.
Tes serviteurs, mourant de faim,
A ta pitié s’offraient en vain ;
Leurs plaintes n’étaient point admises.
L’infortune avait beau crier :
Prendre tout et ne rien payer
Fut ta véritable devise.

Docile élève des cagots,
En pillant de toutes manières,
Quoique parmi les indévots
Tu disais pourtant tes prières.
Des sages ennemi secret,
Sans goût, sans mœurs et sans lumières,
En trois mots voilà ton portrait.

Faible, timide, peu sincère,
Et caressant plus que jamais
Quiconque avait pu te déplaire,
Au moment que de ta colère
Il allait ressentir les traits :
Voilà, je crois ton caractère.

Ami des propos libertins,
Buveur fameux et roi célèbre
Par la chasse et par les catins :
Voilà ton oraison funèbre2 .

  • 1Louis XV mourut à Versailles, de la petite vérole et d’une fièvre maligne, le 10 mai 1774. « Dès qu’il fut mort, chacun s’enfuit de Versailles. Il n’y resta que le duc d’Ayen, survivancier de son père, capitaine des Écossais, dont le droit est de garder le Roi mort ; le duc d’Aumont, premier gentilhomme de la chambre d’année ; le grand aumônier et M. de Dreux, grand maître des cérémonies. On se dépêcha d’enfermer le corps dans deux cercueils de plomb, qui ne continrent qu’imparfaitement la peste qui s’en exhalait, quelques prêtres, dans la chapelle ardente, furent les seules victimes condamnées à ne pas abandonner les restes d’un Roi qui, par le désordre honteux de ses mœurs, l’indifférence pour ses devoirs et pour ses sujets, s’était rendu l’objet de la haine presque générale… Le corps fut conduit deux jours après à Saint‑Denis, et le convoi ressembla plus au transport d’un fardeau dont on est empressé de se défaire qu’aux derniers devoirs rendus à un monarque… Une vingtaine de pages et cinquante palefreniers à cheval, portant des flambeaux, sans être en noir, composaient tout le cortège, qui partit au grand trot à huit heures du soir et arriva à Saint‑Denis à onze heures, au milieu des brocards des curieux qui bordaient le chemin et qui, favorisés par la nuit, donnèrent carrière à la plaisanterie, caractère dominant de la nation. On ne s’en tint pas là : épitaphes, placards, vers, tout fut prodigué pour flétrir la mémoire du feu Roi. » (Mémoires de Besenval.) (R)
  • 2Le Parisien toujours outré dans l’expression de sa haine comme dans celle de son amour, loin de respecter les cendres de son souverain, se livrait à sa passion et lançait contre sa mémoire des traits envenimés dans une multitude de pièces qu’on ne pouvait s’empêcher de regarder comme autant d’horreurs. L’assurance dans laquelle je suis que la postérité, beaucoup plus équitable et mieux instruite, saura les apprécier à leur juste valeur, peut seule me faire surmonter ma répugnance à les transcrire ici. Suivent ces pièces (Hardy)

Numéro
$1357


Année
1774

Auteur
La Harpe selon F.Fr.15141



Références

Raunié, VIII, 313-16 - F.Fr.15141, p.372-75 - BHVP, MS 555, f°108r-109r - BHVP, 4-RES-0323, f°7 - Avignon BM, MS 2720, p.8-9 - Marseille MS 533, f°2 - Hardy, III, 458 - Mémoires du baron de Besenval, t.I, p.308-09