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Les Actrices de l’Opéra

Les actrices de l’Opéra1
Oh ! divinités protectrices
De nos plus fameuses actrices,
Venez conduire mon pinceau ;
C’est votre gloire qui m’excite,
Qui m’appelle à Fontainebleau
Pour peindre vos nymphes d’élite.

Leurs figures, quoique plâtrées,
Seront par moi si bien tracées
Ou’on pourra dire : Les voilà.
Les belles dames, chose sûre,
Ne m’en voudront pas pour cela,
Elles aiment trop la nature.

Allard2 se montre la première,
Et l’honneur d’ouvrir la carrière
Ne lui peut être disputé :
Oh dieux ! comme elle est pétulante !
Chacun croit voir la volupté
Sous les dehors d’une bacchante.

La Peslin3 n’est point sa rivale ;
Si quelquefois elle l’égale,
Ce n’est jamais que sur un lit.
Le jeu plaît fort à la poulette,
Et lorsqu’elle caresse un v…,
Vous diriez un enfant qui tette.

En vain Arnould4 qui s’époumone
Pour faire vivre en son automne
Les fleurs dont brilla son printemps,
Veut encor plaire à la toilette ;
Pour les loisirs de ton amant,
Arnould, sers plutôt de squelette.

On convient que la Rosalie5
N’est belle, jeune, ni jolie,
Mais très peu lui dament le pion ;
Elle a les reins d’une souplesse
Qu’on la prendrait à son croupion
Pour la Vénus aux belles fesses.

Pour triompher du dieu Morphée
Qui, descendu de l’empyrée,
A l’Opéra fait son séjour,
En vain Duplan6 mugit et beugle;
Qui l’entend voudrait être sourd,
Qui la voit voudrait être aveugle.

Toi, la douairière des coulisses,
Demiret7 , fais place aux novices,
Crois-moi, plus tôt sera le mieux ;
Quitte le monde qui te quitte.
Lorsque le diable se fit vieux,
Le diable alors se fit ermite.

De traits d’esprit Guimard8 pétille ;
Il n’est peut-être pas de fille
Plus séduisante dans Paphos :
Mais avec cette ombre légère
On commet le péché des os,
Et c’est le seul qu’on puisse faire.

Pour élever un édifice
Dervieux9 n’a besoin d’artifice,
D’architecte, ni de maçon ;
Elle sait où prendre la pierre;
La belle a dessous son jupon
Une inépuisable carrière.

Toi, de l’amour aimable enseigne,
Charmante et jeune La Chassaigne10 ,
J’appréhende de te fâcher ;
Mais je crains que ton air novice
Ne soit un art pour nous cacher
Les dangers d’une ch…

Brebis du sérail échappée,
Rivière11 , ta source épurée
Par un maître d’eaux et forêts
Est en débâcles moins prodigue ;
Lui seul pouvait faire les frais
De mettre à ton flux une digue.

Faire quatre cocus par heure,
Aller de demeure en demeure,
Donner des leçons au cachet,
Vous croyez que c’est Messaline ?
Non, point du tout ; à ce portrait
Chacun reconnaît Adeline12 .

Elle a tous les vices ensemble,
Sans talent elle les rassemble,
Et ne garde plus aucun frein.
De Sablé digne camarade,
Pour de l’argent elle est p…
Mais par goût c’est une tribade.

Launay13 , des quatre coins du monde,
De tes amants la foule abonde ;
A faire face constamment
Ta jeunesse en travaux s’épuise :
La cruche à l’eau va si souvent,
Que la cruche à la fin se brise.

Pour vivre un peu plus retirée,
Bèzet14 , à la réforme livrée,
Quitte Paris, vient à la cour ;
Sa conduite est sage et réglée.
Elle se fait f… le jour,
Et la nuit elle est en…

Pour vaincre tout sujet rebelle,
Elle conduit Mars15 avec elle ;
Mais ici l’on dit hautement
Qu’il ne faut pas mordre à la grappe,
Et qu’elle eût fait plus sagement
D’amener un fils d’Esculape.

Pour voir sans danger cette belle,
Il faut aller chez Bouscarelle16 ,
Qui, moyennant un faible droit,
Vous donne un surtout assez drôle ;
S’il ne garantit pas du froid,
Il préserve de la v…

L’autre jour, j’ai vu chez Briare17
Un tableau d’un mérite rare ;
A la Saron le dieu des eaux
Montrait sa chemise salie
D’un virus vert que dans Bordeaux
A répandu cette harpie.

Marquise18 , antique sans noblesse,
Dont un chacun fit sa maîtresse,
Pour qu’elle ne s’augmente plus,
Mets ta chaussure à la réforme :
Car chaussure aux premiers venus
S’expose à pécher par la forme.

Ton art et ton expérience
Ont les suffrages de la France,
Laforêt19 , les prix te sont dus
Parmi la jeunesse d’élite ;
Puisqu’ils sont à qui f… le plus,
Sois la sultane favorite.

Si vous aimez une monture
D’une douce et commode allure,
Prenez, amis, la Saint-Martin20 ;
Mais avant, faites votre compte
De lui donner le picotin,
Sans quoi jamais on ne la monte.

Si la folâtre Donatée21
Ne veut pas être visitée,
Ce n’est pas sans quelque raison
F… tez sans crainte la friponne,
Près du mal est la guérison :
Esculape la greluchonne.

De tous les animaux sans nombre
Qu’autrefois Noé22 mit à l’ombre,
Un papetier fut oublié ;
Dans le taudis du patriarche,
Sa fille, encore par pitié,
Le sauve aujourd’hui dans son arche.

La Delfèvre23 , un peu boucanière,
Sans pudeur montre son derrière
Pour un louis chez la Brissot24 .
C’est le bon marché qui ruine ;
Je m’y suis fourré comme un sot,
Loin de la rose était l’épine.

Dans tes amours, trop roturière,
Cours une nouvelle carrière,
Laisse procureur, avocat ;
Pour toi, sont-ce là des victoires ?
Beauvernier25  ? Encore un rabat,
Tu serais p… à grimoires.

Lorsqu’avec la Granville on couche,
On peut choisir ou de la bouche,
Ou de l’oreille, ou des tétons ;
Mais c’est toujours la même chose :
Vous prenez d’elle des boutons
Qui ne sont pas boutons de rose.

Sur son sexe en vain l’imbécile
Méchamment exhale sa bile ;
Mesdames, ne la craignez pas ;
Elle ne peut jamais vous mordre ;
Son dentiste m’a dit tout bas
Que son davier y mit bon ordre26 .

Poirsin, Toto, Cochonnerie27 ,
Auquel s’en tenir, je te prie ?
Sans prêter aux brocards plaisants
De certains faiseurs d’épigrammes,
Va, tous les hommes sont méchants ;
Tiens-t’en, crois-moi, toujours aux femmes.

De vapeurs, de tons et de mines,
Desangles28 , tu nous assassines ;
De Lucrèce le rôle usé
Aujourd’hui ne dupe personne ;
Si ton jeu te paraît rusé
Ce n’est qu’un air que tu te donnes29 .

Vous entretiendrai-je d’Isoire30 ,
Dont l’âme si vile, si noire,
Fait son dieu de l’impureté ?
Lorsque l’infâme vous approche,
Ayez, pour plus de sûreté,
Ayez la main dans votre poche.

Pour faire route vers Cythère,
Emprunte le char de ton père,
Dauvillier31 , suis ce phaéton
Qui, du numéro de la place
Jusqu’aux chiffres de Cupidon
Te veut faire franchir l’espace.

  • 1Autre titre : Couplets sur les courtisanes et danseuses de l’Opéra qui se sont trouvées au voyage de Fontainebleau (F.Fr.13651) - Ce voyage dura du 4 octobre au 13 novembre et fut principalement égayé par des représentations dramatiques Nous lisons dans les Nouvelles à la main, à la date du 3 octobre : « On est fort occupé aux Menus des fêtes qui doivent se donner à Fontainebleau ; il y aura douze jours de spectacles, composés de différents opéras, comédies, opéras-comiques, le tout arrangé au théâtre de la cour. Sur le répertoire, on avait d’abord mis la Princesse de Navarre, malgré le mauvais succès qu’elle avait eu dans son aurore, quoique de deux grands hommes, Voltaire et Rameau, mais des raisons politiques l’ont fait supprimer. » (R)
  • 2Mlle Allard, danseuse de l’Opéra. (M.) (R)
  • 3Mlle Peslin, danseuse de l’Opéra. (M.) (R)
  • 4Mlle Arnould, première actrice de l’Opéra ; elle vit avec M. le comte de Lauraguais, qui lui fait disséquer des cadavres. (M.) « Mlle Arnould a eu le plus grand succès à la cour dans le rôle de Zélinde. Tous les spectacles représentés jusqu’ici à Fontainebleau ont parfaitement réussi, excepté le Déserteur. » (Nouvelles à la main.) (R
  • 5Mlle Rosalie, actrice de l’Opéra. (M.) (R)
  • 6Mlle Duplan, actrice dans les rôles à baguette. (M.) (R)
  • 7Mlle Demiret, danseuse. (M.) (R)
  • 8Mlle Guimard, danseuse. (M.) (R)
  • 9Mlle Dervieux, danseuse et chanteuse ; elle vient d’acheter, rue Sainte‑Anne, une maison de 80 000 francs. (M.) (R)
  • 10Mlle La Chassaigne, jeune danseuse (M.) (R)
  • 11Mlle Rivière, danseuse dans les chœurs ; elle vit avec M. du V…, grand maître des eaux et forêts, dont les revenus sont immenses et suffisent à peine à la faire médicamenter. (M) (R)
  • 12Mlle Adéline, danseuse des chœurs. (M.) (R)
  • 13Mlle De Launay, danseuse. Elle se meurt du poumon, à un cinquième, avec sa mère qui gagne sa vie à faire des ménages. (M.) (R)
  • 14Mlle Bèze, chanteuse. (M.) (R)
  • 15Mlle Mars, fille languedocienne. (M) (R)
  • 16Mlle Bouscarelle, vieille fille des chœurs, m… (R)
  • 17M. Briard, peintre de l’Académie, amoureux de Mlle Saron, danseuse. (M.) (R)
  • 18Mme Marquis, dite Marquise, femme d’un savetier de Marseille. (M.) (R)
  • 19Mlle Laforêt, ancienne fille de Lyon. (M.) (R)
  • 20Mlle Saint‑Martin, danseuse. (M.) (R)
  • 21Mlle Donatée, fille qui vit avec un jeune médecin. Elle a épousé depuis le comte de Pouders. (M.) (R)
  • 22Mlle Noé, jolie fille. Elle vit avec un papetier. (M.) (R)
  • 23Mlle Delfèvre, coryphée de danse. (M.) (R)
  • 24M…, rue Française. (M.) (R)
  • 25Mlle Beauvernier, danseuse, qui, après avoir vécu avec tous les clercs de procureurs, a pris pour amant Convers, avocat. (M.) (R)
  • 26Mlle Granville, courtisane, pétrie d’art depuis le bout des doigts jusqu’au bout des dents : son râtelier factice est un chef‑d’œuvre. (M.) (R)
  • 27Mlle Poirsin, qui se nomme aussi Toto et Cochonnerie à cause de son embonpoint, vit actuellement avec Mllle Duthé ; le point est de savoir qui des deux fait l’homme. (M.) (R)
  • 28Mlle Desangles, sœur de la précédente. (M.) (R)
  • 29Le satirique joue sur le mot air (R dans la prononciation, d’où jeu rusé et jeu usé). (R)
  • 30Mlle Isoire, danseuse figurante. (M.) (R)
  • 31Mlle Dauvillier, danseuse figurante. Elle est, dit‑on fille d’un fiacre. (M.) (R)

Numéro
$1283


Année
1769




Références

Raunié, VIII,158-67 - F.Fr.13651, p.333-43