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Noëls pour l’année 1773

Noëls pour l’année 17731
Le bruit de la naissance
De notre rédempteur
Excita dans la France
La plus grande rumeur.
De l’auguste Opéra, la troupe académique
Voulut, en cette occasion,
Donner de sa dévotion
Une preuve authentique.

Pour joindre, avec adresse,
L’éclat et la splendeur
A toute la sagesse
D’un administrateur,
Rebel2 n’oublia rien dans cette circonstance,
Et sa perruque et son cordon
Sentirent même, ce dit-on,
L’effet de sa prudence.

Suivant l’antique usage,
A tout avènement
Il vint un homme sage
Faire son compliment.
Mais il s’y prit, hélas ! de façon si maussade,
Son discours fut si long, si plat,
Que Jésus, faible et délicat,
En fut presque malade.

Ne se sentant pas d’aise,
Soudain Legros3 parut ;
Sa mine un peu niaise
Au bon Joseph déplut.
Mais l’entendant chanter, il usa d’indulgence,
Son air gauche il lui pardonna,
Même, dit-on, il lui passa
Son peu d’intelligence.

Madame Larrivée4
Y vint fondant en pleurs ;
A toute l’assemblée
Elle dit ses malheurs.
En vain pour mon mari j’ai l’amour le plus tendre :
Bien loin de s’en inquiéter,
L’ingrat court plutôt en conter
A qui veut bien l’entendre.

Du fond de la chaumière,
Cet époux5 au Sauveur
Dit : De cette mégère
Délivrez-moi, Seigneur ;
Comblé d’un tel bienfait, Roi des cieux, je vous jure,
Jamais je ne nasillerai,
Et, si je peux, j’en oublierai
Ma voix et ma figure.

Sans aucune rivale,
Je tiens le premier rang ;
Personne ne m’égale,
S’écria la Duplan6 ;
J’ai de rares talents, que tout le monde admire,
Du feu, de l’âme et cætera…
Joseph allait croire cela,
Mais il vit Télaïre7 .

Ainsi que sur la scène,
Et plus touchante encor,
Parut en souveraine
L’amante de Castor ;
D’un ton noble et décent, elle dit à Marie :
En cette heureuse occasion,
Donnez votre protection
A notre Académie.

Pour se faire connaître,
Monsieur Gélin8 chanta,
Mais l’ennui qu’il fit naître
Eût suffi sans cela ;
Il croyait cependant opérer des merveilles,
Mais il ralentit de son ton
Voyant qu’à sa voix le grison
Redressait ses oreilles.

Conduite par les Grâces,
Heinel9 vint à son tour ;
Mais, hélas ! sur ses traces
On ne voit plus l’Amour.
Ce dieu, si l’on en croit la méchante chronique,
Loin par elle d’être encensé,
Chaque jour s’en voit offensé
Par un culte hérétique.

Faisant laide grimace,
Mercy10 , tout en courroux,
S’écriait : Faites place,
Promptement rangez-vous.
Joseph, en le voyant, crut, avec bonhomie,
Que ce tapage et cet éclat
Annonçaient quelque potentat,
Et c’était Rosalie11 .

La plus grande parure,
Du rouge et des diamants,
Prêtaient à sa figure
De nouveaux agréments ;
Malgré cela, Jésus, dont le goût est novice,
Lui trouva l’air d’une catin ;
Son écuyer, triste et bénin,
Lui parut un Jocrisse.

De sa voix glapissante
Adoucissant le ton,
Beaumesnil12 se présente
Au céleste poupon ;
Elle regrette en vain le jour où, dans Sylvie,
Le parterre trop indulgent
Crut en elle voir un talent
Qu’elle n’eut de sa vie.

Aussitôt dans la salle
On vit paraître Allard,
Et Peslin sa rivale,
Et l’adroite Guimard13 ;
Dauberval14 conduisait cette troupe folâtre :
Approchez-vous, leur dit Jésus,
Vous serez toujours bien venus
Ici comme au théâtre.

La gorge et le visage
Peints de rouge et de blanc,
Belle comme une image,
Surtout l’air impudent,
Cléophile15 parut dans cette conjoncture.
Quoi ! dit-elle, pour ces gens-là,
On me fait quitter l’Opéra !
Eh ! vite ma voiture.

Un jeune militaire
A Joseph dit tout bas :
Si cette fille est fière
Sa maman16 ne l’est pas.
Moyennant de l’argent, vous la rendrez facile
Vos bas elle ravaudera
Et même vous procurera
Une nuit de sa fille.

Plus laide que les ombres
Qu’elle évoque à grands cris,
Et telle qu’aux bords sombres
On nous peint Erinnys,
Durancy17 l’œil hagard et tordant bien la bouche,
Vint se présenter au Sauveur,
Qui recula saisi d’horreur
A son aspect farouche.

Au masque de Thalie
Réduite à renoncer,
Et de l’Académie
Prête à se voir chasser,
Sifflée avec grand soin sur la scène tragique,
Elle n’a plus rien à tenter,
Sinon d’aller bientôt montrer
La lanterne magique.

Moi, ni monsieur mon frère,
Dit Vestris au Sauveur,
N’avons pu rendre mère
Madame notre sœur.
Que sans secours humain une jeune pucelle
Ait fait un si joli poupon,
Cela n’entrera tout de bon
Jamais dans ma cervelle.

Quel est ce personnage ?
Dit Jésus irrité ;
On voit sur son visage
Toute sa vanité.
Ainsi que vous, Seigneur, je possède un empire,
Répliqua Vestris18 furieux ;
De la danse je suis le dieu…
Gardel se prit à rire.

Se croyant à la piste
De quelque trépassé,
La mine froide et triste,
L’air décontenance,
Beauvalet19 se montra. Joseph, qui le remarque,
En le plaignant tout bas disait :
A merveille ! il figurerait
Dedans un catafalque.

La gorge toute nue
Martin20 se présenta ;
Cependant cette vue
Personne ne tenta :
L’enfant qui, sur ce point, n’entendait pas malice,
Voyant ces énormes tétons,
Crut qu’elle venait tout de bon
Pour être sa nourrice.

Au fond de la cabane,
Par la foule pressé,
Entre le bœuf et l’âne
Durand21 se vit placé :
Il s’en plaignit tout haut à notre divin Maître,
Qui, malgré sa grande bonté,
Lui dit : Je crois qu’en vérité
Vous ne pouviez mieux être.

D’un grand air de princesse
Élargissant les rangs,
Fontenay22 , la duchesse,
Vint montrer ses enfants.
Il faut les protéger, dit Jésus à sa mère,
Ils soutiendront fort bien leur rang ;
Même ils auront l’esprit brillant
Comme monsieur leur père.

Mais dans cette aventure
Jaloux de figurer,
Messieurs de la Doublure23
Se pressent d’arriver.
La Suze, l’insolent ! y faisait grand tapage,
Et soutenait que Cavalier
A l’ânon devait le premier
Présenter son hommage.

Je crains peu qu’on me raille,
Dit Dauvergne à Granier24 ;
Ici, comme à Versailles,
On n’osera huer.
Donnons mon opéra pour Jésus et sa mère ;
Mais à peine eut-on entonné
Un air de sa Callirhoé ;
L’âne se mit à braire.

Aussitôt que La Salle25
Sut que c’était Noël,
Il vint en linge sale
Adorer l’Éternel.
Ah ! que vois-je ? dit-il, en jurant comme un diable,
Hérode est un franc animal ;
Qu’on mène l’enfant au Wauxhall,
Ôtez Dieu de l’étable.

Pour fêter son enfance
Employons tous nos soins ;
Pour un écu de France
On entrera, pas moins.
Prenez, au magasin de notre Académie,
Plusieurs quadrilles de danseurs,
Ajoutez-y des brétailleurs
Puis une loterie.

Mais j’oubliais Julie26
Et son navigateur27 ;
Elle vint à Marie
Présenter ce vainqueur :
Non, non, lui dit Joseph, il a vogué sur l’onde ;
Des marins je crains le pouvoir ;
A notre vierge il ferait voir
Bientôt le bout du monde.

  • 1Autre titre : Sur l’Académie royale de musique. (M.) (R)
  • 2M. Rebel, directeur. (M.) (R)
  • 3M. Legros, acteur. (M.) (R)
  • 4Mme Larrivée, auparavant Mlle Lemierre, chanteuse. (M.) (R)
  • 5M. Larrivée, acteur. (M.) (R)
  • 6Mme Duplan, actrice. (M.) (R)
  • 7Mlle Arnould, qui a joué supérieurement le rôle de Télaïre dans Castor et Pollux. (R) (M.)
  • 8M. Gélin, acteur. (M.) (R)
  • 9Mlle Heinel, première danseuse. (M) (R)
  • 10M. le comte de Mercy, ambassadeur de l’Empire. (M.) (R)
  • 11Mlle Rosalie La Vasseur, actrice, maîtresse du comte de Mercy. (M.) (R)
  • 12Mlle Beaumesnil, actrice. (M.) (R)
  • 13Mlles Allard, Peslin et Guimard, premières danseuses (M.) (R)
  • 14 Dauberval, danseur. (M.) (R)
  • 15Mlle Cléophile, figurante. (M.) (R)
  • 16La mère de Cléophile. (M.) (R)
  • 17Mlle Durancy, actrice. (M.) (R)
  • 18Le sieur Vestris, premier danseur. (M.) (R)
  • 19M. Beauvalet, acteur. (M.) (R)
  • 20Mlle Martin, danseuse. (M.) (R)
  • 21M. Durand, acteur (M.) (R)
  • 22Mlle Fontenay, danseuse, maîtresse du duc de Grammont. (M.) (R)
  • 23Les Doubles. (M.) (R)
  • 24M. Dauvergne a refait avec M. Granier l’opéra de Callirhoë. (M.) (R)
  • 25M. La Salle, secrétaire de l’Opéra et entrepreneur du Wauxhall. (M.) (R)
  • 26Mlle Julie, danseuse. (M.) (R)
  • 27M. de Bougainville, qui a fait le tour du monde, amant de cette demoiselle. (M.) (R)

Numéro
$1339


Année
1773 / 1775 (F.Fr.13651)




Références

Raunié, VIII,282-92 - F.Fr.13651, p.404-14 - F.Fr.15141, p.359-71 (ordre différent)


Notes

Nota : cette pièce n’est pas à sa place. Elle regarde l’année 1775 (F.Fr.13651)