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Les Exploits de Mademoiselle Dazincourt

Les exploits de mademoiselle d’Azincourt1
Daon2 , jeune étranger, lorgnait
Depuis longtemps un pucelage,
Qu’à Dazincourt il supposait,
Dont elle n’avait que la cage.
Tendres soupirs et doux langage
Étaient le prix qu’il en offrait.
La fillette point ne voulait
Recevoir espèces pareilles,
Et n’ouvrit enfin les oreilles
Qu’au son de trente bons louis ;
Diamants furent de la fête ;
Je crois que pour telle Laïs
Le présent n’est pas malhonnête.
Quelqu’un peut-être s’écriera,
Que c’est marchandise un peu chère,
Et qu’on vend moins pour l’ordinaire
Un pucelage d’opéra.
Quoi qu’on en dise, notre dupe
Donna louis et diamants,
Mais quel fut son étonnement,
Après qu’ayant levé la jupe,
Du pucelage prétendu
Il trouva le chemin battu ;
Il comprit lors qu’une danseuse
Ne pouvait s’élever bien haut,
Que cette fleur si précieuse
N’eût avant elle fait le saut.
Il voulut se mettre en furie,
Et chanter la palinodie ;
Redemander son or, ses diamants ;
Mais il perdit sa colère et son temps ;
La Dazincourt avait bonne mémoire,
Et de Manon3 ayant appris l’histoire,
Sut mettre l’exemple à profit,
Et quelque tapage qu’il fit,
Jamais à rendre n’entendit…
Elle fut trouver la Cartou4 ,
Enfant de l’esprit et du goût,
Célèbre de nos jours par ses galanteries,
Plus encore par mille saillies,
Lui demanda son sentiment,
Ce qu’elle devait dire et faire,
Pour dérober ce précieux salaire
Aux poursuites de son amant.
La Cartou répondit en actrice achevée,
Ton amant n’est qu’un sot ; lorsque tu le verras
Dis-lui qu’il aille à l’Opéra,
Que sur la porte il y lira :
L’on ne rend point l’argent quand la toile est levée.
Un gros fermier, derrière la coulisse,
De certain lieu traita moyennant tant,
Il paye et trousse après cela l’actrice
Qui d’accoucher n’attendait que l’instant.
Ceci tout court arrête le traitant ;
Il veut donner au diable sa corvée,
Revendiquer l’argent pris d’arrivée ;
Dit qu’il l’aura, menace du sergent ;
Fi donc ! monsieur, quand la toile est levée,
Lui dit la nymphe, es-tce qu’on rend l’argent ?

  • 1Autre titre : Histoire du temps (F.Fr.12682.
  • 2« Il faut un peu parler des bons mots qui courent dans la ville. Un étranger fait marché d’une somme pour le pucelage d’une fille d’Opéra, ce qui est un peu équivoque. Il a payé et couché avec elle, mais il n’a pas trouvé à cette jeune fille ce qu’on lui avait promis, il a compté, sur la bonne foi des conventions, que cela changeait le marché, et qu’il lui fallait rendre une bonne partie de la somme. Sur cette contestation, les parties s’en sont rapportées à la décision de Mlle Cartou, ancienne actrice, chanteuse de l’Opéra. Après avoir entendu les faits, elle a décidé que l’homme ne savait pas lire apparemment, et qu’il devait savoir que quand la toile est levée, on ne rend plus l’argent. » (Journal de Barbier). (R)
  • 3Mlle Pélissier, chanteuse de l’Opéra. On veut parler ici de son histoire avec le juif Dulys. (M.) (R)
  • 4C’est la Carton qu’il faut lire. C’était une demoiselle des chœurs de l’Opéra, célèbre par ses reparties Lorsqu’elle fut délaissée par le duc de Kingston et prit pour amant M. Le Noir de Cindray, intéressé dans les fournitures de vivres, elle dit plaisamment à ses amies : « Je me suis jeté dans les vivres, mais je lui ferai bien manger des rations. » Après la représentation des Paladins de Rameau, qui avaient été mal reçus, le compositeur prétendant que l’on n’avait pas eu le temps de goûter sa musique, disait dans le foyer : « La poire n’est pas mûre. — Cela ne l’a pas empêchée de tomber ; riposta l’espiègle actrice. » (R)

Numéro
$0920


Année
1740




Références

Raunié, VI,282-84 - Clairambault, F.Fr.12709, p145-47 - Maurepas, F.Fr.12635, p.267-68 - F.Fr.12682, f°35r-36r - F.Fr.13655, p.181-83


Notes

Une version abrégée en $2845