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Etablissement de l'opéra calotin

Établissement de l’Opéra calotin

Nous, seul et digne souverain

Du vaste empire calotin,

Fondons par grâce spéciale

Dans notre illustre capitale,

Pour rendre nos sujets heureux,

Un opéra noble et pompeux

Qui bientôt puisse en toute espèce

Effacer celui de Lutèce.

Dornel, notre compositeur,

Sera le sage directeur,

Malgré la noire jalousie

De la nouvelle académie.

Ce musicien excellent,

Dont nous connaissons le talent,

Sera l’auteur grave et comique

De notre théâtre harmonique.

En tout il travaille aisément

Et chacun sait qu’en un moment

Il fait contre un sien confrère

Un morceau docte et non vulgaire

Qui peut-être, à ce que l’on dit,

Le fera crever de dépit.

Nous le créons à juste titre

Des différends unique arbitre.

Tout sera soumis à ses lois.

Ce grand homme, selon son choix,

Pourra distribuer les rôles.

Lasserre fera les paroles,

Maltaire, à grands coups de jarret,

Animera notre ballet ;

Il conduira toute la danse,

Des pas marquera la cadence,

Qu’il sera surpris en ce cas

De montrer ce qu’il ne sait pas.

Voulons que tout soit magnifique,

Digne de la scène lyrique,

Que nos regards soient éblouis

Et surtout point de vieux habits,

Point d’anciennes rapsodies

Ni de peintures recrépies.

Nous n’aurons point la Camargo,

Mais bien Mariette et Prévost.

Nous nous réservons ces deux filles ;

Elles sont vives et gentilles,

Savent attraper les deniers

Et des traitants et sous-fermiers.

Pour établir d’abord leur fame

Il faut que ces fringantes dames

En arrivant d’autres pays

Ruinent six de leurs amis.

Nommons pour actrices chantantes

Toutes les jeunes postulantes

Qui par un rigoureux destin

Languissent dans le magasin.

Ces souverainetés charmantes,

Pour peu qu’elles soient intrigantes

Et qu’elles sachent leur métier,

Auront du moins un fermier.

Quand par des chutes imprévues

Nos pièces seront peu courues,

Pour nous consoler nous mettrons

Sur le théâtre deux bouffons,

Pour faire des fonds la finance

Et soutenir notre dépense,

Des maris jaloux et cocus

Nous saisirons le revenu,

Desquels nous prenons le cinquième.

Par ce moyen notre Opéra

Endetté jamais ne sera.

Fait dans notre conseil suprême,

En présence de tous les dieux,

Au grand château des songe-creux,

Sous les auspices de la lune,

Notre bonne mère commune.

Momus et plus bas, Saint-Martin.

Numéro
$4399





Références

F.Fr.15017, f°91r-94r - Lille  BM, MS 63, p.78-83