Épître à Mademoiselle Girardin
Épître à Mademoiselle Girardin1
Quels accords ravissants et quelle mélodie !
Suis-je dans le palais du dieu de l’harmonie ?
J’entends, je suis ravi des sons les plus brillants.
Girardin, jeune encore, aux plus tendres accents
Unit l’expression, le goût et la finesse,
Un organe enchanteur, une exacte justesse,
Les tons touchants du cœur, la voix du sentiment,
Et des secrets de l’art tout le raffinement.|
Simple et tendre en son chant, dans une pastorale,
Où trouver son émule et bien moins sa rivale ?
Pathétique à propos dans le récitatif,
Touchante jusqu’aux pleurs dans un amour plaintif,
Dans le genre élevé, majestueuse et fière,
Sévère, impétueuse au feu de la colère,
Brillante dans les airs qu’inspire la gaîté,
Et toujours asservie au point de vérité.
Poursuis, enfant gâté d’Euterpe et de Thalie,
Développe ton âme, échauffe ton génie,
Médite, approfondis, l’art n’est jamais borné ;
Mais malgré tes succès, avec sécurité
Ne te repose pas sur de nombreux suffrages.
Sans doute l’on te doit un tribut, des hommages ;
Cependant pour aller à la perfection,
Il faut des soins constants, de l’obstination,
Dire, redire encor dix fois un seul passage ;
Il est des tours ingrats, dont le ton, l’assemblage
Exigent plus d’étude et de réflexion ;
Tant d’art ne semble pas le fruit de ton jeune âge,
Mais sur toi la nature a versé ses bienfaits ;
Jouis de tous ses dons, augmente tes succès.
Ravis l’âme et l’esprit, enchante notre oreille,
Et sois à dix-sept ans des talents la merveille.
- 1Mlle Girardin avait débuté à l’Opéra, le 8 juillet 1779, avec un demi-succès, ainsi que le constataient les Mémoires secrets : « Une nouvelle débutante a chanté une ariette dans laquelle on a admiré la justesse et la légèreté de sa voix. Ce sera une très jolie cantatrice ; mais comme elle n’a ni énergie ni étendue, on doute qu’elle puisse jamais être actrice. » Mais le public ne tarda pas à revenir de cette opinion, et un mois ne s’était pas écoulé que l’actrice avait déjà conquis une place brillante sur la scène lyrique. « Mlle Girardin, dont on a annoncé le début à l’Opéra comme cantatrice, n’a pas tardé à y être employée comme actrice, et, quoique l’on dût craindre qu’elle ne fût très gauche dans le rôle d’Aline qu’elle a rempli dès le dimanche 18, elle y a eu un succès décidé, malgré les défauts inséparables de cette distinction prématurée. Enfin le dimanche 25, elle a chanté celui d’Angélique dans le Roland de M. Piccini. Il est sans exemple, à ce théâtre, qu’une débutante ait dans un espace de temps aussi court, et sans plus d’épreuves et d’exercices, fait deux premiers personnages. On l’a goûtée encore davantage dans le dernier. » (R)
Raunié, IX,241-43