Ode de M. Roy en réponse à elle de M. de Montcrif sur les guerriers de l’armée du Rhin
Ode de M. Roy
en réponse à elle de M. de Moncrif
sur les guerriers de l’armée du Rhin
Je suis trop bon Français, seigneur,
Pour voir sans honte et sans aigreur
Cette impertinente écriture
Dont tout Paris rit ou murmure.
Ô Ciel ! quelle pesante main
Barbouille nos héros du Rhin.
Un sot éloge est une injure
A punir comme un trait malin.
Ah, Monsieur de l’Académie,
Laissez la chanson aux grivois,
Ou prenez leur ton, je vous prie,
Moins bas et plus naïf cent fois.
Mangez le munitionnaire1
S’il est homme assez débonnaire
Pour nous admettre à ses repas
Mais ce riche a fait des ingrats
Il voudra bien encore en faire.
Croyez moi donc, ne payez pas
En méchants vers sa bonne chère.
Tracez, mais d’une main hardie
L’Anglais qui, chez nous accueilli,
Y retrouva une autre patrie.
C’est lui dont la mort et la vie
Ne craignent ni le prompt oubli
Ni le fade éloge aussi
Par la bavarde confrérie.
Barwick joignit au plus grand cœur
La sagesse la plus profonde.
Il fut le modèle et l’auteur
D’une race en héros féconde.
Entre ses fils au champ d’honneur
Il meurt et son sang les inonde.
Que de gloire, que de grandeur !
Est-ce mourir, ou de ce monde
Sortir en vrai triomphateur ?
Donnons sa place et sa puissance
Au Marius de notre France,
A ce d’Asfeld laborieux
Qui ne doit rien à sa naissance.
Il se montre seul à nos yeux,
Et que m’importe ses aïeux !
Quelle race ne sera fière
De commencer par un tel père !
Muses, peignez de feu
Celui dont il ne faut rien dire
Plutôt que de le louer peu,
L’apprentif qui l’ose décrire
Ne voit en lui qu’un ruban bleu.
J’y vois le vainqueur de l’envie
Qui par la force et le génie
Mit la fortune à la raison,
Qui des débris de sa maison
Fit les fondements de sa gloire ;
Aux grands projets donnant l’essor
Et des ailes à la victoire,
Et la trouvant trop lente encor.
C’est l’infatigable Belle-Isle.
A ses côtés vole au combat
Ce frère, son élève agile,
Jeune homme encore et vieux soldat,
Mes chers voisins de la Bastille,
Car je nous y vis tous les deux.
A votre nom mon sang pétille,
Je respire à vous voir heureux.
Et vous, augustes volontaires,
Clermont, Conti, princes charmants,
De la France vrais ornements,
Dignes héritiers de vos pères,
Ah, faut-il qu’un grossier encens
Enfume vos lauriers naissants ?
Du soldat qui vous envisage,
Goûtez les applaudissements.
Germanicus sut à votre âge
Préférer ce naïf hommage
Aux plus fastueux compliments.
Clermont a su franchir l’obstacle
Qu’on opposait à son ardeur ;
De tous les Condés son grand cœur
Réunit en lui le spectacle.
Tu nous rendras, jeune Conti,
Ce héros chanté sur le Pinde,
Que Fleurus, Steinkerque et Newinde
Ont vu valoir seul un parti.
Ton digne aïeul dont le Sarmate
A genoux eût reçu des lois,
Si cette république ingrate
Méritait d’avoir de bons rois.
Ah, puissé-je avoir une voix
Égale au zèle qui me flatte
Pour chanter un jour tes exploits.
Je souhaite aux dieux de la terre,
A nos princes succès en guerre,
Sultane fringante, jolie,
Fidèle et toujours applaudie,
Braves et galants écuyers,
Mais surtout un bon secrétaire,
Du mérite et du caractère
De celui que Vendôme avait,
Les succès l’avaient fait connaître.
Capistron pensait, écrivait,
De l’air dont se battait son maître.
Princes, vos bontés sont d’un prix
A n’en pas profaner l’usage.
Phebus garde cet avantage
A ses plus dignes favoris.
Horace soupait chez Mécène,
Virgile avec lui n’était qu’un,
Mais Bavius mangeait à peine
A la gamelle du commun.
- 1Pâris-Duvernay
Maurepas, F.Fr.12633, p.315-20 - Arsenal 3133, p.309-14 - Stromates, I, 466-69
Autre version en $3268 qui fait le point sur la querelle Moncrif / Roy / Voltaire