Noëls
Noëls
D’un Dauphin la naissance
Enchantait tout Paris ;
Sa subite existence
Troubla le paradis ;
Qui diable l’a produit, dit le Verbe en colère ?
C’est quelque coup du Saint-Esprit,
Car jamais personne n’a dit
Que le roi fût son père.
Pardonnez-moi, mon maître,
S’écria le pigeon,
Je n’ai pas donné l’être
À ce cher nourrisson.
De ce qu’on voit de beau la reine est le modèle ;
Coigny brûlant d’un feu nouveau
D’Amour alluma le flambeau
Sans moucher la chandelle.
On fit place à Madame
Tout auprès du poupon.
Monsieur criait : « ma femme
A déjà des soupçons. »
Chacun se regardait et faisait la grimace.
Un plaisant dit : « je crois le cas,
La chose ne me surprend pas,
Mais l’auteur m’embarrasse. »
Au diable soit l’affaire
Dit le comte d’Artois,
Si j’en eus voulu faire
Il n’eût tenu qu’à moi.
J’aurais pu procréer cette race bâtarde
Mais pour le bien de mes enfants
Je m’en allais tranquillement
Baiser ma Savoyarde. »
Elisabeth arrive
Aux premières douleurs
Disant : « que ma sœur vive,
Exaucez-moi, Seigneur. »
Mais voyant qu’un enfant est le mal qui la presse,
« Ceci, dit-elle, n’est qu’un jeu,
j’en ai déjà vu faire deux
A Diane la comtesse1
.
Pesant quatre cents livres
Monseigneur d’Orléans
Parut, quoiqu’un peu ivre,
Parmi les courtisans.
Il contait ses chagrins au prélat de Toulouse2
:
« plaignez, disait-il, nos destins,
mon fils vit avec des catins,
et moi, je les épouse.
En calculant d’avance
Son nouveau bâtiment,
En toute diligence
Chartres vint un instant.
« Dans ma société, dit-il, je me concentre
Je n’ai plus qu’un petit hôtel,
D’un palais je fais un bordel,
Je suis là dans mon centre. »
Près de leur nouveau maître
On voit avec éclat
Près du berceau paraître
Les ministres d’Etat.
Mais voyant des manchots3
, des sots, des imbéciles,
L’enfant se mettant à parler
Dit : « C’est ce qu’on peut appeler
Le choix de l’Evangile. »
En Crispin de province
Vint le Miromesnil4
.
Jadis l’ami du prince
Il eut quelque crédit.
Maurepas qui le vit, dit : « Il sera des nôtres,
Il est un peu fripon et sot
Mais enfin, pour dire le mot,
Tout autant l’un que l’autre. »
Madame de Lamballe
Parcourant les appas
De l’épouse royale
Dit : « je ne croyais pas
Qu’on eût pu sans époux un jour devenir mère. »
Cependant deux petits bâtards
Qu’elle avait eus par pur hasard
Lui prouvaient le contraire.
Au comble de la gloire
Jules, dictant ses lois5
,
Dit : » Je sais cette histoire
Sur le bout de mes doigts.
La reine aime à jouir ; c’est de l’âge où nous sommes.
Mais pour contenter ses désirs
Et pour varier ses plaisirs,
Je lui permets les hommes. »
Du mentor de la France6
On attendait le mot ;
Mais son indifférence
Attrapa plus d’un sot.
« Je trouve tout cela, dit-il, fort ordinaire ;
On peut se tromper dans ce cas,
Moi-même ne croyais-je pas
D’Amelot7
être père ?
Aux faveurs de la reine
Espérant parvenir
Charlotte de Lorraine8
Voulut tout réunir
Michelot9
lui montra le nouvel exercice ;
Mais l’offre ayant mal réussi,
La princesse se réduisit
A conserver l’actrice.
Fitz-James la duchesse,
Que son mari gâta,
Parut dans la tristesse
A cette assemblée-là
« Je pleure encore d’Artois, dit-elle, il était drôle ;
Chartres m’amusait quelquefois
Mais de la perte de tous trois
Puysegur me console. »
Destournel un peu l’aide
Pour garder son amant,
En lui prêtant son aide,
Se rend reconnaissant.
S’il en coûte à son cœur pour ce beau sacrifice,
Barbatene, piqué d’honneur,
De Montaigu, malgré l'humeur,
Lui rend encore service.
Plein de minauderie
Vint la Roche-Lambert.
« Je joue la comédie
Et j’ai place au couvert ;
Je suis à Chantilly de la troupe du prince ;
Ces Messieurs chantent bien aussi
Et tous mes talents réunis
Font effet en province. »
Fleury resta muette
Même auprès de l’enfant.
De Mesmer10
la recette
N’opéra nullement.
On crut cet accident d’abord contre nature,
Mais quelqu’un y réfléchissant,
Dit : « Je connais maintenant
Les effets du mercure. »
Rebut de la livrée
L’insolente d’Ossun,
De luxure enivrée,
N’en refusait aucun.
Si de Jésus naissant elle eût vu la cabane,
Pour ne pas perdre de moment,
Elle eût fait chasser l’enfant
Pour ne garder que l’âne.
S'aspergeant d’eau bénite
La pauvre Luxembourg
Du diable et de sa suite
Crut garder son faubourg.
D’un plaisir délicat la chrétienne s’assure ;
Le diable vint et la tenta,
Mais le malheureux la rata,
En voyant sa figure.
Apportant une lettre
Du sieur Cagiron11
,
Fougière12
vint se mettre
Parmi les favoris.
« On peut se confier, dit-elle, à ma parole ;
Désormais on peut s’y fier ;
Aux Montagnards13
pour les derniers
J’ai donné la vérole. »
Avec grande noblesse
Une femme arriva ;
Elle fendit la presse
Et chacun se rangea.
Cette dame, Messieurs, en valait bien la peine ;
C’était la princesse d’Henin ;
Comme elle est tribade et catin,
On la prit pour la reine.
- 1Sa dame d’honneur (M.).
- 2M. de Loménie de Brienne (M.).
- 3M. le marquis de Ségur (M.).
- 4Il jouait les rôles de Crispin chez le comte de Maurepas ; on l'a fait garde des Sceaux (M.).
- 5Mme la duchesse de Polignac, favorite de la reine (M.).
- 6M. de Maurepas (M.).
- 7Ministre de Paris (M.).
- 8Fille de Mme la duchesse de Brionne (M.).
- 9Danseuse de l’Opéra, et maîtresse du duc de Bourbon qui en a eu des enfants (M.).
- 10Charlatan connu par son magnétisme animal (M.).
- 11Empirique connu pour les maladies vénériennes (M.).
- 12Mlle de Fougière, fille de M. le comte de Vaux, commandant en Corse (M.).
- 13Les Corses (M.).
F.Fr.13653, p.211-21
Date probable, par l’allusion à la naissance du Dauphin.