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Noëls pour l’année 1778

Noëls pour l’année 17781
Par droit incontestable
Acquitté tous les ans,
Jésus doit dans l’étable
Recevoir nos présents ;
De la Société que l’on nomme royale,
Les membres voulant tout avoir,
Sous le prétexte du devoir,
Vinrent faire cabale.

Suivi de sa cohorte,
Prête à commandement,
Lassone ouvre la porte
Inconsidérément.
Joseph court aussitôt et se prend à lui dire :
Ici de quel ton entrez-vous ?
Voyez, apprenez que chez nous
Il n’est point de Zaïre.

Pour déguiser sa honte,
Il présente son fils,
Et commence un long conte
De ses talents exquis,
L’âne l’interrompit : Est-ce ainsi qu’on nous joue ?
On sait, dit-il, depuis longtemps
Le goût, l’esprit et les talents
Qu’il a pris à Padoue.

Lassone pour réponse,
Comptant sur la faveur,
Avec emphase annonce
Qu’il est son successeur :
Je le forme à plaisir pour notre souveraine ;
Ah ! s’écria Joseph surpris,
Outre le père, avoir le fils ;
Grand Dieu, sauvez la Reine !

Vicq d’Azir se présente,
Il ose se nommer.
Le bœuf en épouvante
Croit qu’on va l’assommer ;
Ah ! Jésus, s’écrie-t-il, ce boucher m’embarrasse ;
Au lieu d’apporter guérison,
Il a sans rime ni raison
Exterminé ma  race.


Après ce secrétaire,
Arrivent vingt élus.
L’âne se mit a braire :
Soyez les bien venus,
Frères, je vous connais, vous êtes de ma clique ;
Ayant tous même qualité,
Avec vous en société
Nous ouvrirons boutique.

Quelques-uns de la bande
S’offensent du propos
Çà, dit-on, qu’on gourmande
Ce général des sots !
Laporte en vrai taquin va frapper sur la bête :
Mais l’âne aussitôt l’esquiva.
Lalouette, se trouvant là,
Eut le coup sur la tête.

D’après cette méprise,
Laporte entre en fureur,
Et sur la bête grise
Veut venger son erreur ;
Mais il s’amadoua, l’histoire ainsi l’expose ;
Car son coup n’étant pas perdu ;
Sur l’un ou l’autre individu,
C’était la même chose.

Sachant qu’à même chance
Il pouvait avoir part,
Chamseru, par prudence,
Court se mettre à l’écart ;
Vicq d’Azir l’a jadis tancé sur sa bêtise.
Or, remarquez-en le profit,
Fuir est le premier trait d’esprit
Qui le caractérise.

A cet exemple utile,
Jean Roy sentit son cœur
Et va, comme un reptile,
Pour cacher sa frayeur.
Toi, l’opprobre d’un oncle en tout recommandable,
Je t’aperçois, lui dit Jésus ;
C’est donc pour tes cinq cents écus
Que tu te rends coupable ?

De son ingratitude
Thouret rougit alors ;
Nul criminel n’élude
Le tourment des remords :
Il éprouvait déjà cet utile supplice,
Lassone, le voyant gémir,
Fait signe de le raffermir
Au doucereux Lassisse.

On n’avait du message
Point encor dit l’objet ;
L’homme au plus long corsage
En avait le projet ;
Poissonnier à Jésus s’adresse avec mystère,
Et discourant tant mal que bien,
Parle beaucoup, n’éclaircit rien,
Comme à son ordinaire.

A travers le sens louche
Dont ce marin parla,
Par un mot de sa bouche
Jésus le dévoila :
Je vois à fond, ditil, votre fausse éloquence ;
Vous êtes mauvais citoyen ;
De n’avoir pas été doyen,
C’est pour tirer vengeance.

La réponse équitable
De notre Rédempteur
Fait retentir l’étable
D’un bruit murmurateur ;
La troupe est ébranlée, à sortir on s’apprête ;
Mais Vicq n’ayant pas fait sa main,
Craignant de perdre son butin,
D’un coup d’œil les arrête.

Lorry crut qu’à Marie
Il fallait s’adresser ;
D’une phrase fleurie
Il allait l’encenser ;
Mais Marie à l’instant l’arrêta sur la route
Et lui dit d’un air virginal :
De votre compliment banal
La fadeur me dégoûte.

Hallé prit la parole :
Mon oncle est insulté ;
Il a fait son idole
De notre Faculté. —
De la foi des serments vous vous jouez sans honte,
Lui dit Joseph avec pitié ;
Pourrait-on de votre amitié
Jamais faire aucun compte ?

Poissonnier de Perrière
Voulut argumenter ;
Mais sa bouche ordinaire
Sut toujours tout gâter ;
L’âne lui fit exprès cent questions subtiles,
Pour savoir positivement
Ce qui l’avait si promptement
Fait partir pour les Iles.

Ce trait à son mérite
Était bien appliqué ;
Jussieu s’en félicite,
C’est son gendre manqué ;
Ils auraient, sans la dot, été dans la concorde ;
Mais au calcul, leur double agent,
Entre eux, en homme intelligent,
Fit naître la discorde.

L’auteur de la rupture
Était l’abbé Tessier ;
Il paraît pour conclure
Et se justifier :
Certaine pension par eux m’était promise,
Or ce pot de vin me manquant,
J’ai dû, pour être conséquent,
Renverser l’entreprise.

Ne perdant point la tête,
Dans tous ces vains débats,
Pour commencer sa quête,
Caille allonge le bras :
Eh quoi, lui dit Joseph, quêter jusqu’en l’étable ?
Vous quêtez à la Faculté
Et dans votre société ;
Vous quêterez au diable.

De Jésus la pratique
Tenta Charles Le Roi ;
A l’âne il s’en explique :
Ah ! procurez-la-moi ;
Je pourrais vous offrir moitié de l’honoraire. —
Grand merci, dit l’âne en courroux,
A des laquais adressez-vous ;
Ils font mieux votre affaire.

Lassés de ces couleuvres
Qu’il fallait avaler,
Les membres par leurs œuvres
Veulent se signaler.
Macquet veut commencer, l’âne le trouve étrange
Et lui dit : Dans un lieu puant,
Vous n’aviez qu’un pied seulement ;
Vos deux sont dans la fange.

Portant son spécifique,
Audry se présenta ;
Sur un ton magnifique
En maître il le vanta :
Fi donc ! lui dit Jésus, vous crachez du mercure ;
Ce rob n’est qu’un leurre de plus,
Vous l’exaltez pour les écus
Que son débit procure.

Partageant cette offense,
Paulet vint réclamer :
Une te le sentence
Pourrait nous diffamer. —
Tout ce qu’il vous plaira, lui dit aussitôt l’âne ;
Vous protégez un charlatan,
Vous en recevez du comptant,
Ce trafic vous condamne.

Sans craindre ce reproche,
Bucquet montre son front
Et tire de sa poche
Un morceau de savon :
Voici contre l’eau-forte un plus sûr antidote. —
Ah ! dit Jésus, laissons cela,
Je suis surpris de vous voir là ;
Quittez cette marotte.

Geoffroy, croyant mieux faire,
Offrit ses hannetons ;
Cet insecte vulgaire
Plaît aux petits garçons
Jésus connut l’avare au ton de sa parole,
Et désirant le renvoyer :
Monsieur, dit-il, pour vous payer,
Je n’ai pas une obole.

L’appareil électrique
Fut offert par Mauduit ;
De son effet magique
Il vanta le produit :
Je secoue à mon gré les humeurs ennemies. —
Ah ! dit le bœuf, faites toujours ;
C’est là sans doute un grand secours
Dans les épidémies.

Coquereau, comme un sage,
N’offrit rien de son chef
Et mit tout en usage
Pour racoler Joseph.
Celuici lui répond : Vous me la baillez bonne :
Pour entrer dans votre bourbier,
Après Macquart et Colombier,
Ne comptez sur personne.

L’orgueil du petit homme
Soutint bien ce refus ;
De quel coup qu’on l’assomme,
Il n’est pas plus confus ;
Sa tête est si féconde en audace, en souplesse !
Jusqu’au moment qu’il la perdra,
Selon le cas il emploiera
L’astuce et la bassesse.

Ce racoleur s’avance
D’un ton plus radouci ;
Il fait la révérence
Au bœuf, à l’âne aussi :
Il nous faut des sujets, oh ! vous serez des nôtres,
Vous entrez bien dans nos projets,
Nature vous fit exprès,
Vous en valez bien d’autres.

A la première annonce,
Le bœuf refuse net ;
On a même réponse
De la part du baudet.
Mais en se ravisant, je suis prêt à vous suivre,
Dit le bœuf ; mais auparavant
Qu’on chasse ce Normand,
Car enfin je veux vivre.

Vous avez vu, dit l’âne,
Ma bonne volonté ;
Mais de vous il émane
Certain gaz empesté :
Il m’a fait balancer, mais à tout je m’expose,
Comptant bien sans prévention
Obtenir une pension ;
C’est bien la moindre chose.

On traita d’impudence
Le marché du baudet ;
Un tas d’acteurs s’avance,
Disputant d’intérêt :
C’est moi, criait chacun, qu’il faut qu’on pensionne.
Tous ces gosiers, de soif brûlants,
Jetaient tant de cris différents
Qu’on n’entendait personne.

Les bergers à l’étable
Arrivaient à grands pas :
Ce bruit épouvantable
Fait tressaillir leurs bras ;
Ils trouvent à la crèche une tourbe inquiète ;
Craignant pour Marie et Jésus,
Ils chassent ces nouveaux intrus
A grands coups de houlette.

  • 1Dans ce noël on passe en revue les membres de la Société royale de médecine, sans en omettre aucun et tous ont leur pardon. On ne peut que gémir sur la discorde affreuse ainsi excitée entre des personnes graves et austères qui devraient se respecter davantage et ne pas renouveler entre eux ces antiques et méprisables querelles de savants en us. » (Mémoires secrets) La Société royale de médecine eut à ses débuts de graves différends avec la Faculté : « On entendait dire, écrivait Hardy au mois d’octobre, que la Société royale de médecine, établie en 1776 par arrêt du Conseil à la sollicitation du sieur de Lassone, premier médecin du Roi, en survivance du sieur de Lieutaud et dans laquelle on avait eu soin d’attirer un certain nombre des plus célèbres médecins de la Faculté de Paris, rendue plus stable et plus permanente par des lettres patentes du Roi en quatorze articles données à Versailles, le 29 août précédent et enregistrées au Parlement le 1er septembre, éprouvait déjà un commencement de dissolution par la retraite de plusieurs des membres qui la composaient, tels que les sieurs Bouvard, Malouet, etc. Ces médecins, un peu plus éclairés que leurs autres confrères associés royaux, tant sur les vrais intérêts de leur corps que sur les projets destructeurs de sa liberté, conçus soi-disant par le susdit sieur de Lassone, qui ne se proposait rien moins, selon les apparences, que de devenir le supérieur en chef de la Faculté de médecine de Paris, comme le sieur Pichault de Lamartinière l’était de l’Académie royale de chirurgie, paraissaient vouloir se réunir au plus grand nombre des membres de ladite Faculté, lesquels, peu disposés à se laisser mettre en esclavage, se donnèrent toutes sortes de mouvements pour secouer le joug qu’on cherchait à leur imposer, en travaillant à obtenir, s’il était possible, la révocation des susdites lettres patentes, à l’enregistrement desquelles le procureur général du Parlement ne s’était prêté, disait-on, que malgré lui. » Le différend s’aggrava chaque jour davantage, si bien qu’à la fin de décembre, la Faculté résolut de recourir aux grands moyens : « Depuis plus de quinze jours, il existait une scission pleine et entière entre la Faculté de médecine de Paris et ceux des membres de cette faculté qui composaient la Société royale de médecine, au point que cette Faculté avait arrêté par un décret en forme, de ne plus s’assembler à l’avenir et de ne procéder à aucun cours d’études jusqu’à nouvel ordre, s’en tenant à donner toujours les consultations gratis pour les pauvres dans ses écoles et à continuer de voir des maladies ; au moyen de quoi tous les exercices se trouvaient suspendus, sans que le bruit qu’on avait fait courir que le décret de ladite Faculté serait cassé par un arrêt du Conseil se fût encore réalisé. On annonçait même que l’Université se disposait à intervenir en faveur de la Faculté de médecine. Tout le monde était fort impatient de voir le dénouement de cette querelle singulière. » Mais le public n’attendit pas longtemps : « Une lettre de cachet obligea la Faculté à reprendre ses cours interrompus, tandis que la Société royale qui avait jusqu’alors tenu ses séances au Collège de France, était autorisée à les transférer au Louvre, dans la salle même où le ministre du département de Paris avait coutume de donner ses audiences. Cette mesure, tout en donnant une consécration nouvelle à la Société royale, avait pour but de l’éloigner de son ennemie, dont le chef-lieu était rue Saint-Jean-de-Beauvais, dans les vieilles écoles de droit »

Numéro
$1455


Année
1778




Références

Raunié, IX,178-90 - CSPL, IX, 294-303