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Noëls pour l’année 1737

Noëls pour l’année 1737
La nuit de la naissance
De l’enfant Homme-Dieu,
D’une humble contenance
J’étais dans le saint lieu.
Que peu, sincèrement lui rendirent hommage !
L’un doutait tout de bon,
Don don.
L’autre disait tout bas, La la.
Y croire, est-ce être sage ?

En dépit de la foule,
Un grave sénateur1
Jusqu’au berceau se coule,
Et dit au Créateur :
Je suis de vos sujets, Seigneur, le plus fidèle,
Recevez pour mon don
Le livre que voilà,
Vous y verrez mon zèle.

Du maître du tonnerre,
Le puissant factotum2
Frappant du pied par terre,
Prend en main le factum,
Puis dit au Roi des cieux : Seigneur, à ma prudence
Livrez-vous sans façon.
Cet honnête homme-là
Aura sa récompense3 .

D’une riche abbaye
Nouvellement doué,
A la galanterie
Dès longtemps dévoué,
Clermont4 lui dit : Cousin, mes affaires sont nettes,
Un quart de million
Par an me défraiera
Ma maîtresse et mes dettes.

Prédécesseur illustre
De cet abbé laïc,
Dans son seizième lustre,
Bissy proche du hic,
Dit d’un ton repentant : Avant que j’agonise,
Je demande pardon,
De… Mais s’arrêtant là,
Il passa dans la crise.

Femme sans fleur ni gorge,
Nymphe barbe au menton,
Villars qui se rengorge,
Découvre la Toison.
J’ai bien couru, Seigneur, pour avoir un tel ordre,
Quand on voit ce cordon,
Sur ma conduite en çà,
Personne ne peut mordre.

Je ne suis point esclave
Du salut de l’État,
Mais pour faire le brave,
Je suis trop délicat.
On sait que très souvent mon cœur tombe en faiblesse,
Cependant, beau poupon,
Je n’ai pas pour cela,
Une seule maîtresse5 .

En se levant de table,
Un prélat gras à lard6 ,
Arrivé dans l’étable,
Dit d’un ton papelard :
Brûlez si vous voulez, Seigneur, vingt métropoles,
Jamais le Te Deum
Chez moi ne se dira
Que pour mes casseroles7 .

Ministre d’injustice8
Rampant avec fierté,
Furieux par caprice
Dans son autorité.
On y vit arriver le chef de la poussaille,
Qui dit au saint poupon :
Seigneur, je suis déjà
Très craint de la canaille.

Je suis grand politique,
Très fin et très rusé,
Surtout le dogmatique
Chez moi n’est pas usé.
On sait mon grand talent pour la théologie,
En l’honneur de mon nom,
On a dressé déjà
Bien plus d’une effigie9 .

Tendre pensionnaire
De l’enfant de Cypris,
Rivale de sa mère,
Moras10 , le cœur épris,
Dit d’un ton innocent : Vous qui sondez les âmes,
De la Roche-Courbon
Aura-t-il comme il a
Longtemps de vives flammes ?

Du bureau de la ville
Le premier procureur11
Vint d’un ton fort docile
Étaler son malheur :
Seigneur, je suis cocu, la chose est fort notoire
Je vous demande en don,
Pour oublier cela,
Un défaut de mémoire.

Dès qu’il eut clos la bouche,
Et cessé de parler,
Comme lui, de La Touche
Vint aussi s’en mêler.
Retirez-vous tous deux, dit Jésus en colère,
Vos femmes ont raison,
Car à ce travail-là,
Faites, ou laissez faire.

La coquette rusée12
Des moines Sainte-Croix13 ,
D’une poitrine usée,
Dit d’une faible voix :
Hélas ! j’y périrai, ma foi, je cède au nombre.
Je suis à la raison,
Seigneur, je m’en tiens là,
Je me retire à l’ombre.

Un concours de princesses
S’en vint au petit pas ;
En voyant ces Altesses,
Chacun se dit tout bas :
Non, jamais on ne vit un tel essaim de filles !
Grand Dieu, dit le poupon,
Qu’il faudrait pour cela,
D’argent et de béquilles !

Pour en avoir le compte,
Le fils de Dieu montra
Un très aimable comte14 ,
Qui les enregistra.
Sens, Clermont, Charolais, Roche-sur-Yon, Du Maine,
Et deux veuves de nom15 ;
Vinrent s’inscrire là
Au moins une centaine.

Lorsque sur les registres
Leurs noms furent portés,
Et prouvé par bons titres
Leurs droits, leurs libertés,
L’une dit au poupon : Seigneur, voyez nos larmes,
Hélas ! nous vieillissons,
Et nous perdons déjà
Notre espoir et nos charmes.

Taisez-vous, hypocrites,
Leur dit le fils de Dieu.
Petites chattemites,
Vous m’en contez un peu.
La plus jeune de vous n’est pas la moins madrée ;
Vous en savez bien long,
Et cette plainte-là
Est pure simagrée.

Derrière cette peste
Vinrent Dombes et d’Eu16 ,
Disant d’un ton modeste :
Nous nous flattons fort peu,
Mais conserve, Seigneur, chacun de nous en place.
Nés du sang de Bourbon,
Pourrions-nous, sans cela,
Faire honneur à ta race ?

Dès qu’ils eurent fait halte,
Arriva leur cousin17 ,
Puis un prieur de Malte18 ,
Ensuite Saint-Albin19 .
Un rieur s’écria : Ciel ! que de bâtardise,
Il faudrait, saint poupon,
Faire de tout cela
Des officiers d’église.

Chef-d’oeuvre de nature,
Notre aimable Dauphin20 ,
D’un front d’heureux augure
Dit d’un air vif et fin :
A quel âge, Seigneur, dois-je avoir le cœur tendre ?
Si le dieu Cupidon
M’y destine déjà,
Je suis prêt à me rendre.

D’une démarche auguste,
Son père qui le suit,
En prince toujours juste21
Par Alcide conduit,
Tout bas au fils de Dieu demande avec sagesse :
Quand on est né Bourbon,
Seigneur, ne peut-on pas,
Avoir une maîtresse ?

Moins simple que modeste,
Son épouse survint22 ;
Auprès du Roi céleste,
Bientôt elle parvint :
Seigneur, dit-elle alors, soupirant de détresse
Encore un seul garçon,
Et puis après cela,
Ait qui veut sa tendresse.

Près d’elle l’on démêle
Un chef-d’œuvre accompli23 :
C’est l’aimable de Nesle,
Épouse de Mailly.
D’un esprit fier et doux, et tendre sans bassesse,
Elle dit au poupon :
Si Louis en vient là,
Je cède à sa tendresse.

De toute République
Chassé honteusement,
Vint un corps socratique
Tumultueusement.
Le poupon s’écria : Quelle est donc cette troupe ?
Ce sont les francs-maçons,
Don don,
Qui, si nous n’étions là,
La la,
Vous tâteraient la croupe.

 

Sortez d’ici perfides24

Dit Jésus tout surpris.

De vos desseins cupides

Craignez le juste prix.

Ennemis de l’État et de l’Etre suprême,

Ah ! dit un vieux patron,

Don don

Tous ces compagnons-là

Disaient jadis de même.

 

Enfant, daigne t’instruire

Avant de condamner.

Au goût de te conduire

Je me sens entraîné.

Dans la conjonction ôtez les deux extases

Et dans les frez-maçons

Don don

Lors tu ne verras pas

La la

L’ardeur qui les embrase.

 

Pour faire son semblable

Il faut être accouplé.

Le point est raisonnable

Le destin l’a réglé.

Mais que sert le plaisir à la progéniture ?

Réponds-moi, beau poupon

Don don

Est-ce donc ce point-là

La la

Qui sert à la nature ?

 

Le couple est nécessaire

Et non pas le plaisir.

Grand Dieu, sers-nous de père,

Ôtez-nous le désir

Que l’homme seulement serve à peupler le monde,

Ôte la sensation.

Don don

Tu peux rendre sans ça

La la

La semence féconde.

 

Mais si la créature

Ne sentait du plaisir,

Aucun dans la nature

N’aurait plus de désir

Puisque ta main peut tout, pourquoi cette injustice ?

Ôte la sensation

Don don

Je te l’ai dit déjà

La la

Tu détournes le vice.

 

Le point que tu proposes

Est de régénérer,

L’œillet cède à la rose

Quand il faut engendrer.

Or donc le seul plaisir de nos vœux est la base,

Nous serons frez-maçons

Don don

Tant que dans ce point-là

La la

Tu laisseras l’extase.


  • 1 Carré de Montgeron. (M.) (R)
  • 2Cardinal de Fleury. (M.) (R)
  • 3Ces couplets sont, comme on le voit, une parodie exacte de ce qui se passa à Versailles lorsque Carré de Molltgeron alla présenter son livre au Roi. (R)
  • 4La mort du cardinal de Bissy laissait l’abbaye de Saint‑Germain‑des‑Prés sans titulaire. « On est fort embarrassé, disait Barbier, pour le successeur de cette abbaye qui est de cent soixante mille livres de revenu. M. le comte de Clermont, prince du sang, voudrait bien attraper ce morceau, mais pour cela il faudrait prendre réellement l’état ecclésiastique, et n’être pas en habit galonné et en épée, comme lieutenant général des armées du Roi. Les religieux n’aimeraient pas un abbé dans leur palais qui serait occupé journellement par Mlle Camargo, sa maîtresse, ci‑devant danseuse à l’Opéra, et par des compagnies assortissantes. » Néanmoins l’abbaye fut donnée au comte ; mais il se démit de celles de Saint‑Claude, de Marmoutiers et de Cercamp. (R)
  • 5Le duc de Villars était accusé de sod… (M.) (R)
  • 6 Vintimille, archevêque de Paris. (M) (R)
  • 7Il fit chanter un Ce Te Deum après l’incendie de l’Hôtel-Dieu. (M.) (R)
  • 8Hérault, lieutenant de police. (M.) (R)
  • 9On avait gravé une estampe où il était pendu en effigie. (M.) (R)
  • 10Mlle Peirenc de Moras. (R)
  • 11Le procureur du roi Moreau. (R)
  • 12Mlle Beaujeu, maîtresse de Tourette, trésorier des chanoines de Sainte‑Croix de la Bretonnerie, qui avait dis­sipé avec elle l’argent de la communauté et fut enfermé à Saint‑Lazare. (R)
  • 13es chanoines de Sainte‑Croix de la Bretonnerie donnaient dans le travers : ils furent tous enlevés. (M.) (R)
  • 14 Biron (M.) (R)
  • 15La duchesse mère et la princesse de Conti. (M.) (R)
  • 16 Enfants de M. le duc du Maine. (M.) (R)
  • 17 Le duc de Penthièvre. (M.) (R)
  • 18Le chevalier d’Orléans, fils naturel du Régent et de Mme Séry d’Argenton, grand prieur de France. (R)
  • 19L’abbé de Saint‑Albin, fils naturel du Régent et de la Florence, actrice de l’Opéra. Il était archevêque de Cambrai et pair de France. (R)
  • 20Monseigneur le Dauphim (M.) (R)
  • 21 Le roi. (R)
  • 22La reine. (R)
  • 23Le chansonnier est trop flatteur : Mme de Mailly n’était nullement un chef‑d’œuvre accompli, et le Roi lui‑même ne s’abusait pas sur ses défauts qu’il raillait sans façon. Le marquis d’Argenson raconte que la favorite reçut un jour un placet du comte du Luc terminé par cette phrase : « Un mot dit de la belle bouche d’une belle dame comme vous finira l’affaire. » La maîtresse montra la lettre au Roi, qui lui dit brusquement : « Ah, pour une belle bouche, vous ne vous en piquez pas, je crois ! » (R)
  • 24Ces derniers couplets ne se trouvent que dans Castries. Ils sont visiblement d’un auteur différent, n’ayant aucun rapport avec ce qui précède (M.)

Numéro
$0858


Année
1737 / 1738 selon Arsenal 2934




Références

Raunié, VI,196-205 - Clairambault, F.Fr.12708, p.1-9 -Maurepas, F.Fr.26635, p.1-9 -  F.Fr.12675, p.311-22 - F.Fr.13662, f°164r-167v - F.Fr.15133, p. 432-37 - F.Fr.15137, p.312-27 (moins les7 derniers couplets) - F.Fr.15141, p.342-52 (moins les dix derniers couplets) - F.Fr.15149, p.104-20 - NAF.9184, p.322-24 - Arsenal 2934, p.339-51 (manque le dernier couplet) -  - Arsenal 3116, f° 222v-224v - BHVP MS 554, f°378v-381v -BHVP MS 658, p.227-35 (moins les sept derniers couplets) - BHVP, MS 659, p.73-81 - Mazarine MS 2164, p.455-466 - Mazarine Castries 3987, p.114-29 - Lyon BM, MS 1553, p 440-52