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Noëls pour l’année 1772

Noëls pour l’année 17721
Que chacun se dépêche,
Avant le jour des Rois,
De se rendre à la crèche
Comme on fit autrefois.
Profitons du moment de l’absence des princes.
Ceux qui restent ne feront pas
Dans l’étable un trop grand fracas,
Leurs ressources sont minces.

Condé, Bourbon2 , La Marche,
Avancez les premiers,
Car en fait de démarches
Il faut que vous brilliez ;
Jésus sera flatté de voir votre cohorte ;
Monteynard vous introduira ;
Monsieur Cromot3 vous y suivra
Au moins jusqu’à la porte

Condé, voyant l’étable,
Dit que le bâtiment
Est d’un goût détestable ;
Il propose à l’enfant
De venir voir du sien les fastes, l’opulence ;
Il doit presque tout, il est vrai,
Mais c’est grâce à l’abbé Terray
Qui règle sa finance.

Mon cousin, dit La Marche,
Cet abbé s’en rira ;
Je combine une marche
Qui nous enrichira.
Quand de surintendant j’exercerai la place,
L’ami Cromot nous fournira
Autant d’argent qu’il nous plaira,
Car rien ne l’embarrasse.

Le chancelier s’avance
Avec son Parlement ;
D’un petit air d’aisance
Il veut baiser l’enfant ;
Joseph lui dit : Monsieur, vous êtes fort aimable,
Souple, caressant, intrigant,
Fin, faux, fourbe, traître, méchant ;
Mais sortez de l’étable.

Le Parlement de France
Voulait, ce nonobstant,
Faire sa révérence
Et même un compliment.
Maupeou, lui dit : Amis, venez-vous mettre à table,
Il faut rire de tout ceci ;
Le Brun4 viendra tantôt ici
Rendre Joseph traitable.

Dans ce réduit rustique
Où Jésus était né,
D’un air sombre et cynique
Parut le grand abbé ;
L’abbé, le contrôleur de toutes nos finances,
Dit : Je n’ai rien à prendre là ;
Sortons, peut-être qu’il faudra
Donner quelque ordonnance.

Joseph lui dit : Grand prêtre,
Soyez le bienvenu,
Vous voyez notre maître,
Il est presque tout nu.
Que me demandez-vous, répondit le Lévite,
J’ai besoin de tout mon argent ;
Il m’en faut pour le comte Jean5
Et pour toute sa suite.

J’ai pour me mettre au large
Mon centième denier,
Et j’aurai de la marge
Si l’on veut le payer ;
Mais comme, en attendant,
Il vous faut de quoi vivre
Entre d’Amerval et Normand6 ,
Vous jouirez incessamment
D’un nouveau sol pour livre.

Je vois un autre cuistre,
Oh ! c’est monsieur Bourgeois7  !
Mais qu’a donc ce ministre ?
Il paraît aux abois ;
Qu’il conserve toujours cet esprit qui l’anime,
Et, sans avoir vu de vaisseau,
Il saura bien mettre à vau-l’eau
Toute notre marine.

  • 1« On fait assez volontiers, à la fin de l’année, des noëls sur la cour, qui roulent sur les anecdotes galantes ou politiques. Un plaisant vient d’en mettre au jour de cette espèce qui, s’ils ne sont pas bien piquants par leur tournure, serviront de pièces historiques pour constater quelques faits auxquels ils ont rapport. » (Mémoires secrets)
  • 2Au mois de décembre, les princes de Condé et de Bourbon, qui avaient protesté contre la suppression du Parlement et vivaient en quelque sorte exilés de la cour, écrivirent une lettre de soumission au Roi. Leur exemple ne tarda pas à être suivi par les ducs d’Orléans et de Chartres. (R)
  • 3« A peine l’abbé Terray fut‑il installé, qu’il rappela le sieur Cromot, ce premier commis des finances remercié par M. d’Invau et devenu l’objet de l’indignation générale, par son luxe insolent et les déprédations effroyables dont on l’accusait » (Mémoires sur l’abbé Terray.) (R)
  • 4Confident et secrétaire du chancelier, dont il a été le précepteur. (M.) (R)
  • 5Beau‑frère de la comtesse du Barry. (M.) (R)
  • 6Le premier de ces financiers avait épousé la fille de la maîtresse de l’abbé Terray. Le second était le mari d’une certaine dame Morphise, autrefois maîtresse du Roi, et depuis celle de notre contrôleur. (M.) (R)
  • 7M. Bourgeois de Boynes, ministre de la marine. (M.) — Il avait été nommé au ministère de la marine le 9 avril 1771. « C’était une récompense que M. de Maupeou lui faisait donner des services qu’il lui avait rendus dans son opération : c’était surtout un détracteur violent des Parlements, très propre à pérorer dans le Conseil et à renverser les raisonnements de quiconque oserait parler en leur faveur. « (Vie privée de Louis XV.)

Numéro
$1332


Année
1772




Références

Raunié, VIII,262-66 - F.Fr.13652, p.111-15 - F.Fr.15141, p.261-64