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Noëls pour l’année 1777

Noëls pour l’année 1777
Du Mentor de la France
Chantons à l’unisson
La sublime influence
Qu’il a sur son poupon1 .
Il gouverne l’État,
Il brouille le ménage2 ,
Après, il s’en rend l’avocat,
Et chacun à ce potentat
Rend un craintif hommage.

Aux frères économistes
Il a fait succéder
Un frère des Clunistes
Qui vient de décéder3 .
A présent le Mentor
A pris dans la Réforme
Un intrigant qui a, dit-on,
Beaucoup d’audace et de jargon.
Et Necker il se nomme.

Vergenne, gobe-mouche,
Ministre sans talents,
Laisse l’Anglais farouche
Battre les Insurgents :
Valet bas et soumis
De toute l’Angleterre,
A Georges trois il a promis
Qu’on serait toujours ses amis
Pendant son ministère.

Saint-Germain en déroute
A mis tous les soldats ;
Chacun d’eux prend sa route
Pour de nouveaux climats ;
Il a pour successeur
Un même personnage,
Charlatan, né de sa faveur,
Fat, impudent, plein de hauteur ;
C’est tout son apanage4 .

Sartine fait merveille
Dans son département.
Mais la puce à l’oreille
On lui donne souvent :
C est le plus fin matois
De tout le ministère ;
Il est galant, il est courtois,
Et fait ses coups en tapinois :
C’est un rusé compère.

Amelot5 est encore
Frais sorti du bateau ;
Il croit que l’on ignore
Qu’il est un bâtardeau ;
Mais le Mentor a dit
A tout qui veut l’entendre
Qu’Amelot était son petit,
Et de ses amours le seul fruit
Qui racine ait pu prendre.

D’Aiguillon à l’intrigue6
Se borne maintenant.
Le Mentor, pour lui, brigue
Poste très important ;
Et ce vieillard, dit-on,
Un peu dans la démence,
Voudrait auprès de son poupon
Placer le docteur d’Aiguillon7
Pour enterrer la France.

  • 1« On était vraiment affligé de voir un jeune monarque, doué d’un bon esprit et d’un cœur droit, dirigé par un vieux courtisan incapable de fortifier en lui les sentiments d’humanité et de lui inspirer l’amour de ses peuples. » (Journal de Hardy.) (R)
  • 2« L’on débitait que le sieur comte de Maurepas, sachant parfaitement combien la Reine lui était opposée et désirait son éloignement de la cour, tenterait tous les moyens pour parvenir à brouiller le ménage ; on assurait même pour appuyer cette idée que déjà en deux différentes occasions le Roi s’étant trouvé seul en partie de chasse ou de dîner avec Monsieur et M. le comte d’Artois, avait tenu ce propos remarquable et qui, en le supposant vrai, n’annonçait rien de bon pour l’avenir : Il faut avouer qu’on s’amuse beaucoup mieux quand on n’a pas sa femme avec soi. » (Journal de Hardy.) (R)
  • 3Ce vers rappelle la plaisanterie de Voltaire, qui avait promis de se faire moine si Turgot était renvoyé du ministère. Lorsque Clugny eut remplacé Turgot, on lui rappela sa promesse, et il répondit spirituellement : « Je me suis fait moine de l’ordre de Cluny. » Le successeur de Turgot mourut au bout de six mois, et ce fut Taboureau des Réaux qui reçut le titre de contrôleur général des finances, mais on lui adjoignit Necker comme directeur du Trésor. « Il était public, observait Hardy au moment de ces nominations, que le sieur Tabureau des Réaux conseiller d’État, ci‑devant intendant à Valenciennes, qu’on disait âgé d’environ soixante ans et attaqué de la goutte comme les sieurs Turgot et de Clugny, ses prédécesseurs, ce qui avait excité à dire par plaisanterie que le contrôle général s’en allait goutte à goutte, avait été enfin nommé par le Roi pour remplir la charge de contrôleur général des finances, mais qu’il n’avait accepté qu’après avoir obtenu de Sa Majesté qu’elle voulût bien lui donner pour adjoint avec le titre de directeur général des finances, le sieur Necker de la religion prétendue réformée, ci‑devant banquier fameux, lequel passait pour être très éclairé et fort instruit en matière de finances, le même qui avait si fort combattu les systèmes du sieur Turgot. » (R)
  • 4« Après l’insuccès et le mécontentement provoqué par ses réformes, il ne restait à M. de Saint‑Germain qu’une seule sottise à faire. Il n’eut garde de la refuser : c’était de prendre un adjoint. On apprit tout d’un coup et sans que personne s’en doutât que M. de Montbarrey était associé au ministère de la guerre : sa nomination n’apporta aucun changement au désordre qui régnait dans le militaire – et lorsqu’on lui en parlait, il répondait qu’il n’était que l’aide de camp de M. de Saint‑Germain et qu’il lui avait trop d’obligations pour n’être pas entièrement soumis à ses volontés. Il n’était pas bien difficile de pénétrer où tendaient ces propos… M. de Saint‑Germain croupit encore quelque temps dans sa place, mais son discrédit devint si fort qu’il ne put plus le supporter. Il demanda à se retirer ; on le lui accorda avec facilité et M. de Montbarrey fut nommé ministre de la guerre. » (Mémoires du baron de Besenval.) (R)
  • 5« M. Amelot, reconnu comme incapable, ne dut le ministère qu’au crédit de sa mère, amie de tous les temps de M. de Maurepas ; mais on lui adjoignit M. de Robinet qui sous le nom modeste de premier commis dirigeait tout le ministère. » (Mémoires de l’abbé Georgel.) (R)
  • 6Le duc avait été rappelé de l’exil peu de mois auparavant : « Quelques personnes regardaient ce rappel comme une preuve du crédit qu’avait encore le sieur comte de Maurepas, en même temps qu’elles imaginaient que son séjour dans la capitale pourrait bien influencer sur les intrigues qui avaient pour but d’écarter le duc de Choiseul, que la Reine paraissait désirer revoir remonter au ministère. » (Journal de Hardy.) (R)
  • 7Telle n’était cependant pas l’opinion générale, puisque Hardy observait que « s’il fallait s’en rapporter à des personnes qui se disaient bien instruites, quoique le parti du duc d’Aiguillon, son parent, se fortifiât de jour en jour au point que le Roi, Monsieur et Mesdames de France, tantes de Sa Majesté, étaient notoirement décidées en sa fa­veur, ledit comte de Maurepas mettait encore obstacle à ce qu’il rentrât dans le ministère, par la seule crainte qu’il avait que son rétablissement ne vînt à diminuer le crédit dont il jouissait fort tranquillement. » (R)

Numéro
$1441


Année
1777




Références

Raunié, IX, 139-43 - CSPL, III, 3408-11