Noëls pour l’année 1736
Noëls pour l’année 1736
Chantons tous joyeusement
Noël unanimement ;
Les plus grands rois de la terre,
Même celui d’Angleterre,
Vont rendre hommage à l’enfant
Qu’annonce le firmament.
Joseph, connaissant Louis
Au manteau semé de lis,
Par insigne préférence
Le présente à l’audience,
Prenant même par la main
Le beau jeune souverain.
A cet envoyé des cieux
Notre prince généreux
Fit offre de son empire ;
L’enfant semble lui sourire,
Mais Joseph répond soudain
Qu’il est en très bonne main.
Un financier curieux
Se fit porter sur les lieux ;
Quelques bergers de la crèche
Disaient, voyant sa calèche :
Est-ce ainsi qu’il a marché,
Dans le temps du pied fourché ?
L’on vit parmi tant de gens
Des espèces de savants ;
Certain raisonneur étique
Barbouillait métaphysique ;
Joseph dit : C’est du Gradot1
,
Demandez-lui son Credo.
Arrivent deux généraux
Chargés d’enseigne et drapeaux
Pris sur la France et l’Empire.
Lors Joseph se mit à dire :
Auraient-ils gagné tous deux ?
Cela serait curieux.
Un autre guerrier parut ;
Joseph, qui le reconnut,
Dit : En voici d’une bonne :
C’est le général Colonne2
Il prêtera son bâton
Pour toucher sur notre ânon.
Une dame de grand nom3
Vint saluer le poupon
Et promit belle layette.
Sitôt une affaire faite,
Dont la bonne attendait plus
De cinquante mille écus.
Un magistrat élégant4
,
Vint faire son compliment,
D’une voix si haute et claire,
Qu’on le prit pour la laitière ;
Mais Joseph en s’approchant,
Reconnut le vieux galant.
Vint un vieillard trébuchant5
Sous le poids de son argent,
Qui voulait changer l’étable
En un salon admirable,
Où les chiffres de Lévi
Seraient et les siens aussi.
Quel est ce nouveau seigneur6
,
Accompagné d’un coureur,
Et même d’une coureuse7
?
La suite en est curieuse ;
Joseph s’écria : Voici
Quelqu’un du Mississipi.
Quatre géants8
ont paru.
Alors, crie un malotru :
Ce sont des porte-farine. —
Dites des porte-famine,
Repart Joseph en courroux ;
Ils sont pires que des loups.
Les cardinaux de la cour
Se présentent à leur tour,
Disant tout haut que la Grâce
Pour chacun est efficace,
Dès que les pieds de l’enfant
Vont écraser le serpent.
Certain homme à Distinguo9
Voulut placer son Ergo.
Mais Joseph lui dit : Silence,
Apprenez que l’Éminence
Peut refuser le combat
D’un docteur à chapeau plat.
L’on voit de tous les pays
Arriver grands et petits
A ce saint pèlerinage,
Sans chevaux, sans équipage,
A petit bruit cheminant,
Crainte d’éveiller l’enfant.
- 1Café des beaux esprits. (M.) (R)
- 2Le maréchal de Noailles qui, en Allemagne, croyait toujours voir des colonnes d’ennemis. (M.) (R)
- 3La princesse de Carignan. (M.) (R)
- 4M. de Harlay, intendant de Paris. (M.) (R)
- 5Samuel Bernard. (M.) (R)
- 6Bonnier, trésorier des états de Languedoc (M.) (R)
- 7La Petitpas, fille d’opéra (M). (R)
- 8Les frères Pâris. (M.) (R)
- 9Un janséniste. (M.) (R)
Raunié, VI,158-62 - Clairambault, F.Fr.12706, p.475-79 - Maurepas, F.Fr.12634, p.124-28 - F.Fr.13661, f°277r+277v - F.Fr.15147, p.368-75 - F.Fr.15231, f°177 - BHVP, MS 549, f°30v-33r