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La Joie de Paris à la naissance du Dauphin

La joie de Paris à la naissance du Dauphin
Du prince qui nous est donné,
Célébrons la naissance ;
D’un siècle pour nous fortuné,
Quel présage à la France !
Élevons nos cœurs et nos voix
Au ciel qui nous dirige1 ;
Il éternise de nos rois

Et la gloire et la tige.
Paris, quand jusque dans ton sein
Ton roi se communique,
Et partage du citoyen
L’allégresse publique2  :
Quelle est ta fortune en ce jour !
Peuple heureux, considère
Que, dans son empire, l’amour
Le rend doublement père.

En sa présence, tous les cœurs,
Dans un nouveau lui-même,
Disent mieux que vous, doctes sœurs,
Comment il faut qu’on l’aime.
Leur joie éclate en doux transports,
Aux yeux de qui l’inspire ;
Et l’emporte sur vos accords,
Et les sons de la lyre.

Louis y lit dans tous les yeux
Qu’un Dauphin vient de naître.
France, va, publie en tous lieux
Qu’il ressemble à ton maître.
Déjà l’Amour aux champs des lys
A tout mis sous les armes ;
On prend, dit-il, pour moi le fils
D’un roi si plein de charmes.

De vos grottes, nymphes, sortez ;
Accourez sur la Seine ;
Dansez au brillant des clartés
D’un riant phénomène3 :
Ne craignez, sous l’astre qui luit,
Qu’un si beau jour finisse ;
Les Francais n’auront plus de nuit,
Sous un ciel si propice !

Mille étrangers dans nos concerts,
Viendraient sur cette rive,
Surpasser nos voix dans les airs,
En s’écriant : Qu’il vive !
Nous vaincraient-ils ? Chantons sans fin :
Vivent le roi, la reine,
A qui nous devons le Dauphin
Que l’amour nous amène.

Courons repaître nos regards
Des traits d’un si beau prince
Qu’au loin le bruit de nos remparts4
L’annonce à la province ;
Et que l’écho de tout côté,
A la ville, au village,
D’une longue félicité
Dise qu’il est le gage.

Tu l’apprends à plus d’un climat,
Sage dépositaire
Des sceaux et secrets de l’État ;
Mais ton zèle a beau faire,
Des cœurs le guide avant-coureur ;
Volant à tire d’aile,
Sait porter de notre bonheur
Bien plus loin la nouvelle5 .

Oui, quand ce premier mouvement
De joie aussi sincère,
Passait par ton empressement,
Au Germain, à l’Ibère,
On vit l’Amour fendant les airs,
Charmé de son ouvrage,
D’avance inviter l’univers
D’aller lui rendre hommage.

Quels doux loisirs il nous promet !
Déjà toute l’Europe,
Du présent que le ciel nous fait,
A tiré l’horoscope :
Par ce rejeton de héros,
Notre fortune est stable :
Louis, pour notre plein repos,
Nous donne son semblable.

Mais, quel aspect dans ce moment !
Une heureuse planète
Influe en son tempérament
Les forces d’un athlète ;
D’un brillant progrès à nos yeux,
On le voit qui s’avance,
Et fait du Dauphin dans les cieux
Avec l’Aigle alliance6 .

Le coursier d’où l’on vit venir
Ce tourbillon d’étoiles7 ,
Grand roi, lève de l’avenir
Sur la paix tous les voiles.
Cet ascendant prédit qu’un jour
Si l’on troublait ses charmes,
Ton fils la ferait à son tour
Respecter par ses armes.

Dans ce prince, tout nous apprend
Quelle gloire future,
Sur les pas de Louis le Grand,
Son beau sang nous assure !
S’il te prend pour guide aux combats
Que tu livres aux vices ;
Que son cœur ne vaincra-t-il pas
Sous tes heureux auspices ?

A peine est-il, que les jeux
Les ris autour des tonnes8
Célèbrent partout, en tous lieux,
Ce lien des couronnes ;
Et qu’on voit, d’un accord nouveau,
Les grâces de sa mère
Se joindre autour de son berceau,
Aux vertus de son père.

La foi qui doit tout à son nom,
D’abord sur lui s’empresse
A mettre l’auguste cordon
De l’esprit de sagesse9 .
Tel signe est un droit de son rang ;
Mais ce symbole enseigne
Que c’est plus la marque du sang
Où la piété règne.

Digne enfant de tant de soupirs,
Vous, dont à la naissance,
Pour combler nos justes désirs,
Présida la Balance10
Sur vous, du trône cher appui,
Quel bonheur ne se fonde !
Non, il n’est de biens qu’aujourd’hui
Vous n’apportiez au monde.

Quel don ! si par de tels bienfaits,
Le ciel, grande princesse,
Couronne ainsi pour vos sujets
Toute votre tendresse ;
Les vertus pour nous rendre heureux,
Vous sont si familières,
Qu’il est moins le prix de nos vœux,
Qu’un fruit de vos prières.

Vous, autre exemple des mortels,
Fleury11 , que rien ne tente,
Qui servez l’État, les autels,
D’une âme si fervente !
Par ce digne héritier des lys,
Leur gloire régénère ;
Et tous nos souhaits sont remplis
Sous votre ministère.

Oh ! qu’à ton gré, de jour en jour,
Tu vas, heureuse France,
Voir dans les bras de Ventadour
Croître tant d’espérance !
Ses veilles ont assez prouvé
Son amour pour le père,
Mais le fils, dans elle, a trouvé
Encor plus d’une mère12 .

Dans le cours de si doux transports13 ,
Toi qui, dans cette fête,
Du peuple animes tout le corps,
Et qu'on voit à sa tête,
Gesvres, en tous les hauts emplois,
Si ta noble ardeur brille,
Ne sait-on pas que pour nos rois,
Tu la tiens de famille14  ?

Quel spectacle on doit à tes soins !
Que de magnificence !
Turgot15 , quels yeux en sont témoins ?
Ton roi, I'œil de la France !
Quel prix pour toi, que les honneurs
Dont il paya ton zèle16  !
En tout événement, nos coeurs
Ont le tien pour modèle.

Vous serait-il indifférent,
Peuples voisins, d'apprendre
De la paix, qu'un nouveau garant
Ne se fait plus attendre ?
Il est venu ce jour heureux,
Où le ciel qui le donne,
De la joie allumant les feux,
Éteint ceux de Bellone.

  • 1 Le roi venait d’assister au Te Deum, chanté à Notre-Dame en actions de grâces. (M.) (R)
  • 2Sa Majesté n’a cessé d’y paraître vivement touchée des preuves que le peuple donnait de sa joie et de son amour pour sa personne. (M.) (R)
  • 3Le feu de l’Hôtel de ville et les illuminations de Paris. (M.) (R)
  • 4Le canon de la Bastille. (M.) (R)
  • 5La reine accoucha à trois heures quarante minutes, et les dépêches furent si diligemment faites, qu’à cinq heures et demie du matin, tous les courriers étaient partis pour en donner avis aux ministres du roi, dans toutes les cours de l’Europe. (M.) (R)
  • 6 Suivant messieurs de l’Observatoire, cette comète pronostique à ce prince une complexion robuste. A Nîmes on a observé qu’elle a passé de la constellation du Dauphin dans celle de l’Aigle, où elle était le 6 du présent mois de septembre. (M.) (R)
  • 7Dès le 31 juillet dernier, dans la même ville, on avait commencé à la remarquer dans la constellation du Petit cheval, d’où elle sortit pour entrer dans celle du Dauphin (M.) (R)
  • 8Le vin coulait dans toutes les places et dans la plupart des rues, devant les hôtels des princes, ministres et seigneurs qui ne cessent de donner des fêtes. (M.) (R)
  • 9 Ce fut M. le marquis de Breteuil, prévôt et maître des cérémonies de l’Ordre, qui le lui porta (M.) (R)
  • 10Monseigneur le Dauphin est né sous ce signe du Zodiaque, le 4 de septembre. (M.) (R)
  • 11 S. E. M. le cardinal de Fleury, ministre et premier plénipotentiaire de roi au congrès de Soissons. (M.) (R)
  • 12Mme la duchesse de Tallard, sa petite‑fille, reçue en survivance, gouvernante des enfants de France. (M.) (R)
  • 13 Ces derniers couplets n’ont paru qu’au festin donné par le corps de ville, le douzième de ce mois, à son E. M. le cardinal de Fleury, et à tous les ambassadeurs et ministres des puissances étrangères. (M.) (R)
  • 14M. le duc de Gesvres, gouverneur de Paris, de père en fils depuis longtemps. (M.) (R
  • 15M. Turgot, président de la deuxième chambre des requêtes du Parlement, et prévôt des marchands. (M.) (R)
  • 16Sa Majesté, contente de la manière dont elle avait été reçue, lui en témoigna sa satisfaction et aux échevins. (M.) (R)

Numéro
$0683


Année
1729




Références

Raunié, V,192-200 - Clairambault, F.Fr.12699, p.523-30 - Maurepas, F.Fr.12632, p.26-34 - Imprimé (8 p in-4°)