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Sans titre

Pourquoi m’avoir mise en ménage,

Méchants parents1 ,

Et m’engager par mariage

Avant dix ans ?

A quoi me sert cette richesse

Qu’on vante tant,

Si je n’en peux être maîtresse

Encore enfant ?

 

De poupées et jouets suivie,

Pour passe-temps

Se borne à cela mon envie.

C’en est le temps.

Mais quand certain léger ombrage

Couvre les corps,

De parler d’entrer en ménage

A bon alors.

 

Que si j’avais été plus grande,

En bonne foi,

J’aurais refusé la demande

Qu’on fit de moi.

Quoique prince de conséquence,

Quoique Bourbon,

Qui pouvait lors régner en France,

J’aurais dit non.

 

Que suit-il de cette équipée ?

Vite à Paris

On m’enferme avec ma poupée ;

Point de mari.

Défense de voir un seul homme,

Grand ou petit,

Avant quinze ans, et voilà comme

On en agit.

 

D’une si grande barbarie

J’en pleure encor,

Mais j’eus beau me mettre en fureur,

Nul réconfort.

Il fallut passer mon enfance

Comme en prison,

Sans même paraître en présence

De mon barbon.

 

Ce bourru, de mon pucelage

Se ressouvint,

Et pour m’enlever ce doux gage

Près de moi vint.

C’était au retour de la chasse.

Ô le vilain !

Son visage couvert de crasse

La sentait bien.

 

Ce jour, le plus beau de la vie

Pour les amants,

En moi n’excita nulle envie,

Nuls agréments.

Après mainte et mainte entreprise,

Il resta court.

Ainsi finit la convoitise,

Ô le balourd !

 

Irrité de sortir bredouille

D’entre mes bras,

Il se mit à me chanter pouille,

Et de ce pas

Dans son équipage il m’emmène

A Chantilly,

Où fut fait, mais avec grand peine

Cet enfant-ci.

 

Ce même jour qu’il était fête,

Avant midi, j’eus par hasard un tête-à-tête

Avec Bissy.

Je lui parlai de ma souffrance

En peu de mots,

Le tout pour donner allégeance

A tous mes maux.

 

Le pauvre marquis me console

Tout de son mieux ;

Il me jure sur sa parole,

Les pleurs aux yeux,

De me venir trouver seulette

Dans mon logis

Et de me venger en cachette ;

J’y souscrivis.

 

Ma Caroline tant aimée,

Dit-il un jour,

Mon âme, de vos traits charmée,

Pleine d’amour,

Vient vous jurer d’être fidèle

A tout jamais,

Vous seule êtes charmante et belle

Dans ce palais.

 

Fuyez, lui dis-je tout à l’heure,

Bien loin d’ici,

Et songez qu’il faut que je meure,

Cher de Bissy,

Si l’ogre qui me tient captive

Vient à savoir

Votre imprudente tentative,

Adieu, bonsoir.

 

Avant de quitter la partie,

Me prit la main.

Mais, Ô cruelle départie !

Il fuit soudain

En me promettant de m’écrire

Le lendemain,

Et de m’expliquer son martyre

Et son chagrin.

 

Le lendemain un page arrive

Et me remet

D’une main tremblante et craintive

Ce cher billet.

Comme j’achevais de le lire

Vint mon jaloux.

Cette lettre, je veux m’instruire,

Est ce pour vous ?

 

Hélas, répondis-je, troublée.

Je ne crois pas.

Je l’ai trouvée bien chiffonnée

Sous ces sophas.

Il me la saisit et l’arrache

Au même instant

Voyons quel est donc ce bravache,

Cet insolent.

 

Ah ! c’est vous, chétif vers de terre,

Petit Bissy

Sarobert, et sans qu’on diffère,

Partez d’ici

Cherchez ce mignon de couchette,

Cet escogriffe,

Et qu’en ces lieux on le remette,

Soit mort ou vif.

 

Pour vous modérer davantage

A l’avenir,

Madame, prenez ce breuvage,

Cet élixir.

Par sa vertu triste et pesante,

Pendant longtemps

Vous irez rejoindre mourante

Tous vos parents.

 

Bissy bien averti s’esquive

Du mal faisant

Mais moi, bien plus morte que vive,

Toujours traitant,

Vois porter mon époux sauvage

Au monument.

Je le suis et laisse pour gage

Ce jeune enfant.


  • 1On fait parler ici la jeune duchesse Hesse-Rhinfels mourant et qui en effet mourut à Paris le mercredi 19 juin 1741, entre onze heures et midi, ayant été en langueur pendant trois ans entiers.

Numéro
$6250


Année
1741




Références

Mazarine Castries 3987, p.370-77