Sans titre
Il est mort le grand Bourbon1 .
De crainte que dans l’histoire
On ne trouve pas son nom,
Faisons-en ici mémoire.
Il a gouverné l’État
Comme Cartouche2 eût pu faire.
Jamais aucun potentat
Chez lui n’eut un tel corsaire.
En continuant ce train
On t’aurait vu, pauvre France,
Faute de trouver du pain,
Languir dans ton indigence.
Il est mort à Chantilly
Quarante-huit ans de son âge,
Janvier, vingt-sept, mercredi
En tenant un tel langage.
Mon frère3 , ici commandez
De concert avec ma femme.
Soyez tuteur de Condé
Dès que j’aurai rendu l’âme.
Adieu, Sarobert, adieu,
Prenez bien soin de ma chasse ;
Ne sortez point de ce lieu ;
Aux braconniers point de grâce4 .
Adieu mes beaux bâtiments,
Adieu ma belle écurie,
Oui, je te regrette autant
Comme j’ai fait de la De Prie5 .
Ma femme, consolez-vous ;
Vous paraissez trop fâchée.
Sans avoir été aux coups,
J’expire en une tranchée.
Bissy6 vous consolera
Bien vite de ce déboire
Et tout bas souvent rira
Que je sois mort de la foire.
- 1 Sur la mort de Louis-Henri de Bourbon-Condé qui expira à Chantilly le mercredu 27 janvier 1740 à une heure après midi d’une dissenterie qui fut si violente que lorsqu’on l’ouvrit, le boyau rectum parut tout gangrené. Il était né le 18 août 1692. (Cstries)
- 2Fameux voleur (Castries)
- 3Le comte de Charolais (Castries)
- 4 Sarobert était son captaine des chasses, homme sans miséricorde pour les braconniers. (Castries)
- 5Madame de Prie, maîtresse de M. le Duc. (Castries)
- 6Le marquis de Bissy, neveu du cardinal. (Castries)
Mazarine Castries 3987, p.224-26