La Bravoure du duc de Chartres
La bravoure du duc de Chartres1
Chartres, de nos princes du sang
Est le plus brave assurément2
:
Après avoir bravé Neptune,
Bravé l’opinion commune,
Émule de Charle et Robert,
Le voilà qui brave encor l’air.
Admirez comme il va volant
Au sein de cet autre élément.
Quel cœur, et surtout quelle tête !
Rien ne l’émeut, rien ne l’arrête ;
Son rang, ses amis, sa moitié,
Ce héros foule tout au pied.
Il peut aller dorénavant
Tête levée, le nez au vent.
Il est, les preuves en sont claires,
Fort au-dessous de ses affaires :
Eh oui ! ce grand prince, aujourd’hui,
Doit être bien content de lui.
Mais quel soudain revers, hélas !
Ne vois-je pas mon prince en bas ?
Comme il est fait ! comme il se pâme !
On dirait qu’il va rendre l’âme,
L’âme !…. Oh ! qu’il n’est pas dans ce cas.
Peut-on rendre ce qu’on n’a pas ?
- 1 - Le duc de Chartres avait fait construire à ses frais, par les frères Robert, un aérostat qui fut lancé dans le parc de Saint-Cloud, le 15 juillet. « Ce ballon, lisons-nous dans la Correspondance de Métra, était bien une des plus belles choses que l’on puisse imaginer. Des crépines d’or, des pavillons, des banderoles, une galerie capable de contenir huit à dix personnes et tout ce que le luxe peut fournir de plus brillant ont rendu cette expérience bien imposante. Au milieu des bois, c’était le coup d’œil le plus enchanteur que l’affluence incroyable des spectateurs. Le premier rang était à genoux, et les autres en amphithéâtre suivant la disposition du terrain. Nos femmes les plus élégantes avaient couché au bivouac sur le lieu, toutes frisées, toutes parées, pour ne pas laisser échapper une bonne place. La Reine elle-même s’y était rendue à huit heures du matin. » Le ballon était pourvu d’un appareil spécial, dont les aéronautes, qui furent les frères Robert et le duc de Chartres lui-même, comptaient se servir pour diriger leur marche. Mais les dangers qu’ils coururent ne leur permirent pas d’en faire usage, et la rapidité de l’ascension les obligea à crever l’aérostat pour effectuer leur descente. Robert écrivit, dans sa relation insérée au Journal de Paris : « Nous jugeâmes qu’il était prudent de faire une ouverture à la partie inférieure de notre aérostat. Mgr le duc de Chartres prit lui-même un des étendards et fit deux trous à l’aérostat, qui se déchira d’environ sept à huit pieds ; nous descendîmes très promptement. » Mais les Parisiens n’avaient pas attendu cette explication pour chercher dans la conduite du duc de Chartres matière à railleries. Le Journal de Hardy, écho de l’opinion populaire, constatait que les voyageurs, « s’étant trouvés englobés dans un nuage orageux de grêle et de neige tourmentées par les vents, le prince, effrayé, ayant demandé à descendre, et impatient de ce que la manœuvre de la soupape destinée à laisser échapper l’air inflammable n’allait pas assez vite à son gré, ayant fait une grande ouverture à la machine, en a précipité la chute, au bout de trois quarts d’heure, dans le parc de Meudon… La terreur de M. le duc de Chartres, en rappelant le mare vidit et fugit du combat d’Ouessant, donnait lieu à bien des épigrammes. » Rien n’était plus faussement injurieux que cette assertion, ainsi que Meister a pris soin de le faire observer : « La calomnie ne s’est pas contentée de remercier ce prince du magnifique spectacle qu’il avait bien voulu donner au public par cette brillante expérience en le gratifiant de mille mauvais calembours et de couplets dictés par la plus grossière méchanceté ; elle n’a pas même craint d’attribuer à une vaine pusillanimité la promptitude d’une descente que toutes les circonstances nécessitaient absolument. Cette imputation est si fausse que le prince est des quatre voyageurs le seul qui ait conservé toute sa présence d’esprit. Quand il fut décidé qu’on ne pouvait se sauver qu’en perçant le ballon, il prit lui-même froidement un des étendards, et, avant de faire la déchirure, il répéta deux fois aux frères Robert : Est-ce votre dernier mot ? Les personnes qui se trouvèrent là au moment où l’aérostat eut touché terre nous ont assuré qu’il était le seul qui ne parût pas étourdi d’une chute aussi précipitée. » (Correspondance de Grimm.) (R)
- 2 4 août – Pendant que M. le duc de Chartres est absent, et est allé faire un second voyage en Angleterre, ses ennemis acharnés le chansonnent encore, et voici un nouveau vaudeville enfanté par leur méchanceté, sur l'air des Pendus. (Mémoires secrets, 4 août)
Raunié, X,150-52 - Mémoires secrets, XXVI, 155-56