Nouvelle de l'abbé Le Blanc
Elégie.
Nouvelle de l’abbé Leblanc1
Muse des soupirs, gémissante Élégie !
C’est sous ton manteau noir que je me réfugie ;
Permets que je retourne à ce ton de sanglots
Qu’au berceau m’inspira la clameur des cachots.
Honteux, je l’avouerai, du nom d’élégiaque
À qui souvent j’ai joint de fadiaque
Au Théâtre français j’osai prendre mon vol ;
J’osai, pour être neuf, y produire un Mogol,
Et pour qu’on entendît parler de vrais Arabes
J’inventai tout exprès de nouvelles syllabes.
Soit mes vers, soit mes cris, j’eus l’ombre d’un succès :
D’être joué suffit pour donner des accès.
J’imagine un emploi d’un nouveau caractère ;
D’un seigneur étranger je me fais caudataire,
Marchant le poing armé d’un crochet de Germain,
Tel que le fils de Maye a sa verge en sa main ;
L’honneur de côtoyer parfois quelqu’Excellence
M’a fait prendre en public certain air d’insolence
Qui souvent réussit : mais pourle soutenir
D’un titre plus réel il fallait me munir.
Moi qui n’ai de latin que pour me faire prêtre,
Chez des Grecs, des Hébreux je me présente en maître ;
J’affronte leur savoir et leur parle d’un air
Comme si j’eusse été Fréret ou Scaliger.
Pour tout fruit de mes pas, des brigues que je trame
Je n’obtiens qu’un refus suivi d’une épigramme.
Ah ! faut-il succomber, et qu’un tas de pataux
Ait su mettre le comble à mes désirs fataux !
- 1L’abbé Leblac, natif de Dijon, élevé chez son oncle, concierge de la conciergerie de Dijon, vint à Paris en 1728. Il avait de bons amis, mais encore de plus puissants ennemis dans les jésuites, contre qui il avait composé des épigrammes latines. Il se brouilla aussi avec les directeurs du séminaire de Dijon, ce qui lui fit perdre l’intention qu’il avait de se faire prêtre, mais non celle de posséder des bénéfices, car il prit des degrés en théologie jusqu’au doctorat. Il apporta avec lui quelques élégies qu’il avait faites, en composa encore quelques autres qu’il donna au public en 1730, mais dont on ne goûta que l’épître dédicatoire à M. le comte de Clermont ; l’édition n’a pas été vendue. Il composa chez M. le comte de Nocé, où il demeurait à titre de complaisant, sa tragédie d’Aben-Saïd, pièce mongole qu’il donna au public en 1756. Il est vrai qu’elle eut quelque succès, mais le public fut partagé sur certains mots qu’il hasarda, entre autres celui de fataux pour rime, comme on le trouve à la fin de cette élégie. Il passa en Angleterre avec milord Kingston, qui avait enlevé madame Latouche en 1756. Il n’eut d’autre dessein dans ce voyage que de voir Londres et d’apprendre un peu d’anglais, avec l’agrément de ne point faire de dépense pour sa table, que milord lui avait offerte. Il en revint en 1738, avec des airs plus que suffisants qu’il avait portés dans ce pays-là. Il n’est pas foncièrement savant, mais il a de l’esprit, beaucoup de mémoire, et plus encore de babil et de cette suffisance qui en impose quand on ne veut pas appprofondir. Il a sollicité sur la fin de 1741 une place à l’académie des Belles-Lettres, mais il n’a pas réussi, et on l’a décoré de l’épigramme ci-après dont on fait un des sujets de plaintes dans l’élégie ci-dessus. (Bois-Jourdain)
Bois-83-85