Épître de Madame Gourdan à Mademoiselle la Caille1 .
Bel enfant de l’amour, vous que ce Dieu propice
Aurait dû préserver de chancre ou chaude-pisse,
Dites-moi quel est donc le monstre, le cruel,
Qui, d’un encens impur souillant le sacrifice
N’a pas craint d’infecter la prêtresse et l’autel ?
Si vous le connaissez, nommez, nommez le traître,
Pour le salut commun faites-nous le connaître,
Pouvait-il ignorer, le dangereux mortel,
Qu’à mille honnêtes gens il préparait des larmes ;
Que le premier venu peut prétendre à vos charmes ;
Et que par moi formée aux combats de Vénus,
Vous ne sûtes jamais ce que c’est qu’un refus.
Du Condon, cependant, vous connaissez l’usage,
La Caille, et l’on peut lire aux fastes de Paphos
Que, dans les temps heureux de votre apprentissage,
À chaque compagnon de vos galants travaux
Vous saviez le chausser avec beaucoup d’adresse.
Je conviens avec vous que la délicatesse
D’une fille d’honneur en doit beaucoup souffrir.
Mais, ma chère, n’importe, il s’y faut asservir ;
Il n’est eau de Préval2 , ni vinaigre qui tienne ;
La vérole s’en f…, vous connaissez la mienne :
Ces vains palliatifs n’ont pu me prémunir,
On ne nous donne, hélas ! qu’infidèles recettes ;
Le Condon, c’est la loi, ma fille, et les prophètes !

• 115 décembre 1773. ADD. Pour l’intelligence de la pièce suivante, il faut savoir que Mlle Laudumier, dite La Caille, ancienne figurante de l’Opéra, est une élève de Madame Gourdan, fameuse prêtresse de Vénus, qui, à tant de titres, a le droit de prêcher cette nymphe. Déjà Me Linguet l’avait fait connaître par une lettre aigre-douce où, l’an passé, il lui reprochait les fruits amers qu’elle lui avait fait cueillir au sein du plaisir. L’auteur de cette épître, frappé plus vivement, a cru devoir en avertir aussi le public pour son salut et prescrire à la courtisane des leçons utiles qu’il a mises, afin de leur donner plus de poids, dans la bouche de sa première institutrice (M.)
• 2 - Médecin qui prétend avoir une eau préservative, avec laquelle on peut affronter tous les dangers (M.)