Sans titre
Madame de Rufec1
Vous en avez trop fait ;
Ce qui nous le manifeste,
C’est qu’un pied de nez vous reste.
C’est trop tôt pour souper
d’arriver dès goûter
Ce qui nous le manifeste,
C’est qu’un pied de nez vous reste.
C’est trop d’ajustement
Pour plaire à votre amant ;
Ce qui nous le manifeste,
C’est qu’un pied de nez vous reste.
Lui marcher sur le pied
Est trop de la moitié.
Ce qui nous le manifeste,
C’est qu’un pied de nez vous reste.
Y perdre son soulier
Me paraît singulier,
Ce qui nous le manifeste,
C’est qu’un pied de nez vous reste.
Chaussure à votre point
Notre Roi n’avait point :
Ce qui nous le manifeste,
C’est qu’un pied de nez vous reste.
La familiarité
Souvent a tout gâté,
Ce qui nous le manifeste,
C’est qu’un pied de nez vous reste.
Ces mines, ces regards
Étaient par trop paillards.
Ce qui nous le manifeste,
C’est qu’un pied de nez vous reste.
Ce vin pris à l’excès
N’a point eu son succès :
Ce qui nous le manifeste,
C’est qu’un pied de nez vous reste.
De vous fut rebuté
Sa sage Majesté :
Ce qui nous le manifeste,
C’est qu’un pied de nez vous reste.
Il vous laissa, dit-on,
Vous et votre façon.
Ce qui nous le manifeste,
C’est qu’un pied de nez vous reste.
Vous montrâtes en vain
Sous ses yeux votre sein.
Ce qui nous le manifeste,
C’est qu’un pied de nez vous reste.
Vous eussiez tout montré,
Rien n’était à son gré :
Ce qui nous le manifeste,
C’est qu’un pied de nez vous reste.
Il vous fallut enfin
Chez vous cuver le vin.
Ce qui nous le manifeste,
C’est qu’un pied de nez vous reste.
Beau sexe, écoutez bien,
Trop d’amour ne vaut rien.
Ce qui nous le manifeste,
C’est qu’un pied de nez vous reste.
- 1 Le dimanche 27 septembre de cette année, le Roi Louis XV alla souper à la Meute. Il y avait invité plusieurs dames, entre autres Mme de Rufec, duchesse de Saint-Simon, qui de peur d’y manquer, y arriva dès quatre heures après-midi. Elle y fut seule plus de deux heures, parée et brillante comme l’Aurore. L’heure du souper venue, elle se tint à côté du Roi. Les lorgneries, les agaceries ne lui suffirent pas ; elle lui marcha sur le pied si visiblement que tout le monde la vit et qu’elle y perdit sa mule. Le Roi par malice lui demanda ce qu’elle cherchait ; elle le dit ; on fit prendre une bougie à un page. Le Roi s’informa tout haut. Entre vos jambes, sire, répartit le page. Après cette scène elle but si considérablement que la tête lui tourna tout à fait. Elle acheva le souper presque sur l’épaule du Roi, lui prenant à tout moment la main. Après souper, le Roi monta dans sa calèche pour aller chez Mademoiselle où se faisait la noce de Mlle de Nesle avec M. de Vintimille. Mme de Rufec se mit à côté de lui dans le fond ; elle devint si pressante que Sa Majesté s’en trouvant importunée, se mit sur le devant et fit mettre le duc de Villeroy à sa place. Arrivé à Madrid, le Roi conta toute l’histoire à Mme de Mailly qui en parut mettre son bonnet de travers et qui en devint de très mauvaise humeur. (Castries)
Mazarine Castries 3987, p.210-14