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Chanson sur la dispute entre Mme Dacier et M. de La Motte

Chanson sur la dispute entre madame Dacier et monsieur de la Motte,

au sujet de la traduction de l'Iliade d'Homère par Monsieur de Rochebrune

Or écoutez, grands et petits.

Soyez attentifs au récit

De la querelle du Parnasse ;

On écrit, on rime, on menace,

Les modernes sont d’un côté

Et de l’autre l’antiquité.

 

Depuis une traduction

D’une dame de grand renom,

Chacun a lu le bon Homère

Et connu toute sa misère.

Chacun en dit son sentiment

Ce qui la met en grand tourment.

 

Cette dame ayant fort à cœur

De faire admirer son auteur

En dit des choses magnifiques,

Appelle ces temps héroïques

Où l’on ne voit que cruauté,

Misère, orgueil et vanité.

 

Tous ces chefs s’appelaient pour rien

Ivrogne et visage de chien.

Et voilà ce temps héroïque

Que doit respecter la critique,

Temps où l’on n’avais pas connu

L’humanité, ni la vertu.

 

Achille en son emportement

Répond au roi fort sagement :

Tu me demandes Briséide ?

Je te l’abandonne, perfide,

Mais rien de plus, fût-ce un chausson,

Ou ce fer m’en ferait raison.

 

Alors que pour plaire à Tétis1

D’un froncement de ses sourcils

Jupin acquiesce à la prière

Et fait trembler la terre entière

Le traducteur en est surpris

Et trouve cet endroit sans prix.

 

Ami lecteur, plus bas un peu

Vous trouverez ce pauvre dieu

Qui passe une nuit tout entière

Sans pouvoir fermer la paupière

Songeant à soulager l’ennui

D’Achille qui boude chez lui.

 

Vous voyez en lisant plus loin

Minerve se charge du soin

De rompre une paix authentique

Par la plus infâme pratique

Que Belzébuth puisse inventer

Et ce trait part de Jupiter.

 

Mais c’est déjà trop s’arrêter,

Car le moyen de rapporter

Ce long livre de rêveries,

Soutenu des allégories

Qu’il a su tirer aux cheveux,

Ce qui le rend bien ennuyeux.

 

La Motte, un de nos beaux esprits,

A témoigné quelque mépris

Pour cette fameuse Iliade

Qui nous paraît à tous si fade

Mais que deviendra son parti ?

Il n’a que la raison pour lui.

 

La dame en colère aussitôt

Sur La Motte a crié haro

Puis a mis la main à la plume

Et fait éclore un gros volume

Le public n’en dit pas de bien :

Ce volume ne prouve rien.

 

Elle s’y fait de tous côtés

Un fort rempart d’atrocités,

Monseigneur de Thessalonique2 ,

Prélat d’un goût assez gothique,

Grand grec et des plus entêtés

De ces chimériques beautés.

 

Elle a soin de citer encor

Gens qu’elle dit valoir de l’or :

Monsieur Denys d’Halicarnasse,

Aristote et le bon Horace,

Le fameux critique Boileau,

Homère n’en est pas plus beau.

 

Dans ce livre chacun peut voir

De la dame le désespoir,

Puisque c’est un tissu d’injures

Qui ne font pas grandes blessures.

Doit-on en prendre du souci ?

Tous les Grecs en usaient ainsi.

 

Ces sortes de commentateurs,

Idolâtres de leurs auteurs,

Veulent exiger qu’on immole

Le bon sens même à leur idole.

Ils ne gâteront point le goût :

Qui les croit n’en a point du tout.

 

Mais bientôt Gacon3 paraîtra

On ne sait pas bien s’il sera

À l’un des deux partis contraire.

On ne s’en embarrasse guère

Il est sûr qu’il affaiblira

Celui des deux qu’il choisira.

 

Voici venir monsieur Boivin4

Qui n’est ni fastueux ni vain

Mais qui pourrait se tromper, comme

Fit Aristote, ce grand homme.

Des vieilles erreurs emballé,

Il sera pour l’antiquité.

 

J’aperçois l’abbé Terrasson

Comme un autre Bellerophon

Qui va combattre la chimère.

Le parti moderne en espère,

On jugera de sa vertu

D’abord qu’il aura combattu.

 

Or prions le doux Apollon

Qu’à l’aide de son violon

Ou de sa divine harmonie

Il fomente la zizanie

Qui règne parmi les auteurs

Pour le plaisir des spectateurs.

  • 1Les quatre couplets suivants ne se trouvent que dans Mazarine MS 2163
  • 2Commentateur d'Homère en interprétant les allégories de ses deux poèmes de l'Iliade et de l'Odyssée.
  • 3Gacon, mauvais poète, qui a fait l'Anti-Rousseau et le volume intitulé Homère vengé.
  • 4Boivin le cadet, de l'Académie française et des lettres, bibliothécaire, auteur du livre qui a pour titre Apologie d'Homère.

Numéro
$4629


Année
1715

Auteur
Rochebrune



Références

Clairambault, F.Fr.12695, p.469-73 - Maurepas, F.Fr.12627, p.321-26 - Arsenal 2937, f°223r-223v - Arsenal 2961, p.300-05 - Arsenal 3132, p.217-21 - BHVP, MS 580, f°72r-73r - Mazarine MS 2163, p.109-116


Notes

Réponse en $5120