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Le Conseil des ministres

Le conseil des ministres1
Le désordre est ici complet,
Comme tout le monde le sait,
Qui pourrait se taire en effet,
De voir l’Éminence2
Dans sa décadence,
Traiter son Roi comme un baudet,
Comme tout le monde le sait,

Voyez les ministres qu’il fait,
Comme tout le monde le sait,
Vous connaîtrez à leurs portraits
Les maux de la France.
Avec quelle instance
Faut balayer le cabinet,

Tencin3 , ce fourbe si parfait,
Comme tout le monde le sait,
Vise toujours au grand objet.
Sa sœur infernale
Avec sa cabale
L’y conduira par un forfait,

D’Argenson4 n’est qu’un freluquet,
Comme tout le monde le sait,
Mais son ironique caquet
Passe pour science
Chez son Éminence ;
Tout soudain ministre il l’a fait,

Monsieur Orry5 n’est qu’un baudet,
Comme tout le monde le sait,
Couper bras et jambes tout net,
Voilà sa science,
Pour toute finance,
Plus opiniâtre qu’un mulet,

Maurepas6 dans son cabinet,
Comme tout le monde le sait,
Voit tous les objets assez nets,
Mais comme son père7 ,
Méchante vipère,
Dans le mal d’autrui se complaît,

Saint-Florentin tout rondelet,
Comme tout le monde le sait,
Suit son cousin8 comme un barbet,
Et fait le bon drille
Auprès de la fille ;
Il est savant en quolibet,

Breteuil9 n’est qu’un nigaudinet,
Comme tout le monde le sait ;
Duvernay10 l’instruit en secret,
Et puis il ânonne
Toujours nasillonne
A chaque récit qu’il nous fait,

Amelot11 , pauvre perroquet,
Comme tout le monde le sait,
Rend l’étranger très stupéfait
De sa contenance
A son audience
Et des réponses qu’il lui fait,
Comme tout le monde le sait.

  • 1Autre titre: Chanson sur les ministres d'Etat (Arsenal 3133)
  • 2Le cardinal de Fleury. (R)
  • 3« Le cardinal de Tencin, une fois entré dans le conseil d’État, va être adjoint au ministère pour soulager le cardinal de Fleury ; c’est un confrère et un homme de confiance, il n’est pas douteux que c’est le désigner premier ministre ; le titre de cardinal, dans ce pays‑ci, et beaucoup d’esprit sont plus que suffisants. »(Journal de Barbier.) (R)
  • 4« M. d’Argenson a une figure et un visage agréables, beaucoup d’esprit, et l’esprit fort étendu, très poli, et d’une politesse noble et facile, d’un caractère propre à saisir tous les différents détails dont on aurait voulu le charger. Il a des sentiments élevés et est capable de grandes et vastes idées. Il est malheureusement arrivé dans le ministère dans des circonstances embarrassantes. Cette matière était neuve pour lui ; il a fallu le mettre au fait et que l’expédition du courant n’en souffrît point. Quoiqu’il travaille avec une grande facilité, il s’est trouvé un peu accablé par l’immensité de son ouvrage ; peut‑être même a‑t‑il été obligé de se laisser un peu conduire jusqu’à ce qu’il fût en état de marcher seul. » (Mémoires du duc de Luynes.) (R)
  • 5« Le contrôleur général Orry, d’une naissance très ordinaire, ayant servi une partie de sa vie, était déjà sur le retour lorsque le cardinal jeta les yeux sur lui pour lui confier le département des finances. Il était excellent dans ce poste, où la dureté de sa physionomie commençait par repousser cette foule de gens avides dont un contrôleur général est toujours obsédé. Son caractère répondait parfaitement à son extérieur et son premier mot était de refuser. Depuis douze ans qu’il régissait le fisc public, il avait acquis les lumières qui lui manquaient tout d’abord. Il ne manquait jamais de fonds pour faire face au besoin. On lui a reproché de se ménager des ressources par une extrême rigueur envers le peuple, dont il sacrifiait toujours les intérêts à celui du souverain. » (Vie privée de Louis XV) (R)
  • 6« On ne peut avoir plus d’esprit qu’en a M. de Maurepas, ni une mémoire plus heureuse. Les noms de tous les officiers de marine, jusqu’à celui du dernier garde‑marine, le détail des services de chacun et l’intrinsèque même de leurs mœurs et de leur conduite lui est présent, sans qu’aucune circonstance lui échappe. Il est aussi chargé du détail de Paris ; sa mémoire fournit encore à ce détail immense. Il travaille beaucoup et avec facilité ; il est au fait de la cour plus que personne. Son esprit naturellement est celui de la plaisanterie, mais les affaires sérieuses n’en souffrent pas. Ses vues sont étendues et son ambition très éclairée. » (Mémoires du duc de Luynes.) (R)
  • 7 Le comte de Pontchartrain, bien connu pour son humeur désagréable. (R)
  • 8Le comte de Maurepas. (R)
  • 9« M. de Breteuil n’avait point la capacité nécessaire pour remplir le département de la guerre, surtout durant la crise survenue dès le commencement de son élévation Il aurait pu se faire honneur dans sa place en temps de paix, il avait le cœur bon, les manières nobles, toutes les dispositions possibles à rendre service. Il aurait été aimé des troupes avec de pareilles qualités, mais la cruelle et désastreuse campagne de Bohême lui fit perdre toute leur affection. Elles lui imputèrent leurs calamités, et il mourut très à propos (5 janvier 1743) pour n’avoir pas la douleur de se voir sacrifié aux clameurs qui s’élevaient de toutes parts contre lui. » (Vie privée de Louis XV) (R)
  • 10Pâris. (M) (R)
  • 11« M. Amelot a peu de représentation ; il est petit et bégaye assez en parlant ; il a environ cinquante ans. La matière des négociations lui était absolument neuve quand on l’a choisi pour ministre des affaires étrangères ; il s’était appliqué à la finance et aux belles‑lettres et a l’esprit fort orné. Il ne paraît pas jusqu’à présent qu’il ait acquis une grande considération parmi les étrangers, et je crois que l’on peut dire qu’il lui manque encore beaucoup de connaissances sur ces matières. » (Mémoires du duc de Luynes.) (R)

Numéro
$0959


Année
1742




Références

Raunié, VI,331-36 -  Clairambault, F.Fr.12710, p.175-78 -Maurepas, F.Fr.12646, p.153-55 -  F.Fr.10288 (Barbier), f°83r-84r -F.Fr.12675, p.447-50 -  F.Fr.15134, p. 625-29 - F.Fr.15140, p.98-101 -  F.Fr.15150, p.290-95 - NAF.9184, p.359-60 - Arsenal 3133, p.499-501 - Arsenal 3137, f°24v-25v - BHVP, MS 542, p.334-37 - BHVP, MS 549, f°76r-77v - BHVP, MS 556, p.54-56 - Mazarine Castries 3988, p.145-48 - Mazarine 2356, f°68r