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A Mgr le comte de Maurepas. Epître

A Monseigneur le Comte de Maurepas
Épître
Tu croyais, Maurepas que ma muse plus sage
Ne pouvant que te rendre un imparfait hommage
Avait pris des conseils de la droite raison ;
Qu'au lieu de s'exposer à ternir ton blason
Au silence son zèle avait cédé la place,
Comprenant qu'à Mécène il fallait un Horace.
De cette vérité la persuasion
Semblait la retenir dans une inaction
Qui me faisait louer sa timide prudence.
Même je l'exhortais à la persévérance.
Quand, malgré les attraits d'une paisible nuit,
Le sommeil n'ayant pu chasser le sombre ennui
Et les cuisants soucis de diverses disgrâces
Dont mon cœur ressentait les pénétrantes traces,
Vers le temps que l'oiseau, constant ami du jour,
Par son chant importun annonce son retour,
Morphée, devenu sensible à mes prières
Lui-même vint enfin verser sur mes paupières
Le secourable suc de ses bénins pavots.
À peine je goûtais les charmes du repos
Qu'ouvrant l'obscur portail des songes véritables
Il en fit sortir un, tout des plus agréables.
En superbe appareil une divinité
Quoiqu'aveugle, marchant en pompe et majesté
Dans les bras du sommeil vint s'offrir à ma vue.
Elle m'avait été jusqu'alors inconnue.
À sa suite on voyait Plutus et ses trésors
Qui sans cesse faisaient mouvoir mille ressorts :
Le dédaigneux orgueil qui s'en fait tant accroire,
L'abusant faux honneur, l'epsoir, la vaine gloire,
La prodigalité, le luxe, les plaisirs,
L'avarice, la crainte, et force vains désirs
Toutes ces passions ainsi que des captives
Ses gestes étaient souples, comme attentives [?]
Une foule sans fin de toutes nations
Lui rendaient à l'envi ses adorations.
Tremblants, ils observaient cette fatale roue
Qu'elle porte en tout lieu et dont elle se joue.
L'encensoir à la main, ils marchaient empressés ;
De leur culte bien peu furent récompensés
La déesse à d'aucuns se rendit favorable
En qui je ne voyais rien que de méprisable ;
Tel autre paraissait avoir bien mérité
Dont on payait l'encens de mépris et fierté.
Je reconnus alors tous ces fameux caprices
Qui font tant déclamer contre ses injustices.
Mais que deviens-je, O ciel ! combien fus-je surpris
Quand m'abordant bientôt avec un doux souris
Sa gracieuse voix ainsi se fit entendre :
Je sais comme guerrier ce que tu peux prétendre ;
Après avoir blanchi sous l'honorable harnois
Suivant les étendards de deux des plus grands rois,
Près de huit lustres ont signalé ta constance.
Saisis donc le moment qui promet récompense ;
Va trouver ce mortel préposé sur ton corps
Pour décider des droits de toi, de tes consorts [?]
Exprès je l'établis mon dominant arbitre
Sur ceux à qui je veux bien faire, à juste titre,
Car quoique toute loi cède à ma volonté,
J'accorde quelquefois au poids de l'équité.
De son discernement tâche d'impétrer grâce
Il est, tu le sais bien, de cette illustre race
En sages si féconde, et si chère à tes rois,
Par leur zèle et talent pour les plus grands emplois
Le crédit près de lui dépend du vrai mérite.
S'il te connaît assez, ton rang et ta conduite
Sont les patrons sur qui tu puisses mieux compter
Pour parvenir au grade auquel tu veux monter.
L'événement te tient dans une incertitude
Qui cause à ton esprit plus d'une inquiétude
Représente, supplie, éloigne tout effroi.
On doit tout espérer lorsque l'on a bon droit.
Ces mots étant suivis d'un grand coup de tonnerre
Je me vis entouré de longs traits de lumière.
La déesse et son train disparut à l'instant,
Et moi je m'éveillai dans un trouble étonnant.
Tels furent les discours flatteurs de la fortune,
Ils ont donné l'audace à ma muse importune
De recourir encore à ta protection.
L'on ne peut statuer sur une illusion,
Cependant, grand ministre, on verrait que tout songe
S'il te plaisait m'ouïr, n'est pas toujours mensonge.

 

Numéro
$2132


Année
1728




Références

Clairambault, F.Fr.12699, p.434A-434B