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Les intérêts des princes ou les conférences d'Aix-la-Chapelle

Les intérêts des princes ou les conférences d’Aix-la-Chapelle
Dialogues historiques en vers
Par le marquis de Chimène

Dialogue Premier
La Reine d’Hongrie, le Comte de Kaunitz et le chef du conseil aulique
La Reine d’Hongrie
Amis de qui la foi dès longtemps éprouvée
Sans tache en son éclat s’est toujours conservée,
Vous voyez quels revers, quels sinistres effets
Produit depuis trois ans le refus de la paix.
Des obstacles secrets que sema ma prudence
Vous voyez triompher le bonheur de la France.
Son Roi dont le destin est de se faire aimer,
Que tout heureux qu’il est me force à l’estimer
Au milieu des succès attachés à ses armes
M’invie à terminer la guerre et ses alarmes
A suivre son exemple et rendre à mes États
La paix qui leur est chère et qu’ils n’espèrent pas.
Mon cœur, je l’avouerai, quoique fait pour l’empire
Connaît les maux du peuple et souvent en soupire,
Et jusqu’à ma grandeur me coûte des regrets
Lorsqu’il faut la sceller du sang de mes sujets.
D’ailleurs, vous le savez, vainement l’Angleterre
Promet de soutenir le fardeau de la guerre.
Son crédit épuisé qui baisse tous les jours
Va bientôt me laisser sans force et sans secours.
Voilà dans quels périls mes refus m’ont réduite
C’est à vous cependant de régler ma conduite
Comme mes vrais amis, comme zélés sujets
Faites ma destinée et celle de la paix.

Le premier conseiller
Vous flatter qu’aujourd’hui votre seule puissance
Sans l’or des alliés puisse braver la France,
Ce serait mal répondre à ce que je vous dois
Et mal servir l’État qui se fie à ma foi.
Reine, c’est aujourd’hui qu’il faut mettre en usage
Tout ce que la raison vous donna de courage.
Il faut céder au sort, et l’art des souverains
C’est d’attendre le temps marqué par les destins
Suivant l’occasion, l’artifice et l’adresse
Doivent heureusement réparer la faiblesse.
On vous offre la paix ; loin de la refuser,
Quelques conditions qu’on vous puisse imposer,
Acceptez-la, Madame, et si le Ciel propice
Permet qu’à vos desseins l’Empire un jour s’unisse,
La force dans les mains manquerez-vous jamais
De trouver des raisons pour enfreindre la paix.

L’autre ministre
A ces justes raisons, je joindrai, grande Reine,
Le tableau des malheurs que ce refus entraîne.
Ne vous figurez plus que malgré son serment
L’Anglais de vos grandeurs veuille être l’instrument.
Un intérêt commun est le noeud qui vous lie.
Évitez, croyez-moi, qu’on ne vous sacrifie
Et que l’on vous réduise à la nécessité
De mendier un bien qui vous est présenté.
Qui sait si ce monarque, aujourd’hui débonnaire,
Par un ministre adroit ailleurs sollicité
D’entrer dans vos États ne sera point tenté ?
Est-il besoin ici qu’à vos yeux je rappelle
De nos derniers malheurs le souvenir fidèle ?
Et ce qu’ont enduré vos sujets malheureux
Dans ce siège à jamais déplorable et fameux.
Ne les exposez pas à la licence impie
Où du soldat vainqueur l’emporte la furie.
Pour votre peuple enfin et pour vos intérêts
Vous devez vous résoudre à demander la paix.

Le Reine d’Hongrie
C’en est fait, je me rends, et mon peuple l’emporte.
La voix de l’amitié demeure la plus forte.
Je veux faire céder à mes doux mouvements
L’éclat tumultueux de mes ressentiments.
Partez, sage Kauntiz, et qu’on sache dans Vienne
Les ordres qu’aujourd’hui vous donne votre reine ;
Qu’on sache qu’à la paix qu’on s’obstine à m’offrir
Le bien de mes États me force à recourir.
A ce que vous ferez, je suis prête à souscrire,
Mais soutenez l’honneur et les droits de l’Empire.

Le comte de Kaunitz
Du pouvoir qu’il vous plaît déposer en mes mains
Je ne me servirai qu’en suivant vos desseins.

2ème dialogue.
Le comte Saint-Séverin, le comte de Kaunitz, Milord Sandvic
Le comte Saint-Séverin
Messieurs, lorsque sur nous tous les yeux sont ouverts,
Quand nous tenons en main le sort de l’univers,
Nous occuperons-nous des vaines préséances
Que s’arroge l’orgueil des jalouses puissances ?
Ici le bien commun doit être notre loi,
La raison notre guide, et l’honneur notre roi,
Et puique c’est sur lui que son bonheur se fonde,
Soyons tous citoyens comme arbitres du monde.
Mettre fin aux fléaux qu’éprouvent leurs États
C’est l’intérêt commun à tous les potentats.
Je ne chercherai point à vous faire connaître
Quels sont et le pouvoir et les droits de mon maître.
Ses conquêtes sans moi vous en ont trop appris.
Je veux peindre mon Roi sous des traits plus chéris
Des succès qu’à Maurice accorda la victoire.
Les victimes encore lui font pleurer la gloire
Et si tant de héros volent aux champs de Mars
Si son tonnerre gronde autour de vos remparts
Pour épargner le sang qu’il est prêt à répandre,
La voix de ses bienfaits cherche à se faire entendre.
Je vous offre la paix, non comme à des vaincus,
Non en héros qui veut s’attirer un refus,
Et met au plus haut prix les fruits de la victoire,
Mais en roi dont le cœur ne peut être infecté
Du poison dangereux de la prospérité.
Aussi jaloux que vous d’un exact équilibre
Il ne veut point troubler le Danube ou le Tibre
Et mettant son bonheur à faire des heureux
Le nom de conquérant lui paraît odieux.
Il n’est point occupé du vain désir de gloire
Que sous un jour trompeur présente la victoire.
Il renonce à ses droits et ne veut désormais
Régner que sur des cœurs vaincus par ses bienfaits.

Mylord Sandvicke
Nous rendons comme vous un légitime hommage
Aux vertus que Louis ajoute à son courage.
Monsieur, si l’intérêt qui règle le destin
Nous a mis contre lui les armes à la main,
Il ne nous séduit pas au point de méconnaître
Les Etats dont vous venez de peindre votre maître (sic)
Mais vous savez aussi quels que soient vos projets
Que l’empire des mers est acquis aux Anglais.
Le commerce chez vous, près de sa décadence,
Fait toujours dans nos ports circuler l’abondance
Ainsi, sans vous targuer des prétendus succès
Attachés par Maurice aux armes des Français,
Voyez Rocoux, Laufelds, théâtre de sa gloire
Lui disputer encore l’honneur de la victoire
Et fumant sous vos yeux du sang de vos guerriers
Le courrier de Cyprès et non pas de lauriers.
Mais sans pousser plus loin des disputes frivoles
Usons d’un temps trop cher pour le perdre en paroles
Maestrick depuis dix jours autour de ses remparts
Voit la mort à pas lents errer de toutes parts
Épargnons à ses murs l’horreur et le pillage.
Ici le bien public est notre unique ouvrage
Des droits litigieux que s’arroge l’orgueil
Sont toujours de la paix l’inévitable écueil
Ne soutenons donc plus des droits imaginaires
Et réglons-nous d’abord sur des préliminaires.
Que le traité de Worms admis dès ce moment
Principe de la paix en soit le fondement.

 

Numéro
$3329


Année
1748

Auteur
Ximènès (marquis de)



Références

Clairambault, F.Fr.10718, p.366-77 - F.Fr.13659, p.229-36