La maladie de Louis XV
Verse-moi, Piarrot, du vin1
,
Ah ! que j’ons eu de chagrin :
J’étions en capilotade
De voir notre roi malade2
.
Lampons, camarades, lampons.
Dieu merci, ça va bien mieux ;
Et j’avons vu de nos yeux
Ce prince sur sa terrasse.
Tatigué ! qu’il a de grâce !
Il est droit comme un cyprès.
Villeroy était auprès,
Villeroy, son tendre père,
Et Ventadour sa mère.
Buvons donc à leur santé,
Car ils ont ressuscité
Ce jeune et charmant monarque
Malgré les dents de la Parque.
Mais, morgué ! Piarrot, comment
Ont-ils sauvé cet enfant ?
Écoute-moi, mon compère ;
Je t’en vais conter l’affaire.
Il avait dans les boyaux
Quantité de bigariaux,
(Morgué ! il faut que j’arrache
Ce chien d’arbre à coups de hache.)
Il ne pouvait décrocher
(Le monde en était touché)
La moindre petite selle ;
Ça n’est-il pas bien cruel ?
Pour dénicher les canards
En présence des Dodarts3
,
Vint troupe d’apothicaires,
Armés chacun d’un clystère.
Un Francais, Suisse de nom4
,
Médecin d’un grand renom,
Auprès des princes et princesses,
Accourut plein de tendresse.
Sitôt lui tâta le pouls
Qui jabotait comme tout ;
Il allait taque, taque, taque.
Le revoir, c’est un miracle.
Il le fit saigner du bras,
Puis au pied après cela ;
Ensuite vint l’émétique5
Qui le rendit au public.
Tous ces messieurs sont bien fiers,
D’avoir mis la fièvre au feu
Tiens, sais-tu ce que j’en pense ?
C’est la sainte Providence.
Prions donc Notre Seigneur
Du meilleur de notre cœur
De conserver à la France
L’objet de notre espérance.
Lampons, camarades, lampons.
- 1Sur le rétablissement de la santé du roi en 1721.
- 2« Jeudi, 31 juillet. — Le roi est tombé malade, la fièvre lui a pris à la messe, il a été obligé d’en sortir, et il a été saigné du bras. — 1er août. — La fièvre du roi ayant redoublé et même avec transport, les médecins ont été en grande dispute sur la saignée du pied, que le premier médecin ne voulait pas ; elle a été proposée et soutenue par le jeune Helvétius, médecin ordinaire du roi, qui, ayant tenu pendant trois quarts d’heure le pouls de Sa Majesté et senti monter et augmenter une chaleur violente, a rangé tout le monde de son avis. Le roi a été saigné du pied. Il s’est trouvé fort mal sur la fin de la saignée. Toute la cour était dans un grand effroi, mais il est bientôt revenu et a dormi pendant sept ou huit heures depuis. » (Journal de Marais)
- 3Claude‑Jean‑Baptiste Dodart était premier médecin de Louis XV. (R)
- 4Jean‑Claude‑Adrien Helvétius, premier médecin de Marie Leczinska, était le fils du médecin hollandais Adrien Helvétius, qui avait découvert les propriétés thérapeutiques de l’ipécacuanha. (R)
- 52 août. — On a donné au roi, à deux fois, écrit Marais, deux grains d’émétique qui a très bien opéré, et cette médecine a achevé de le mettre hors de danger et de le guérir tout à fait de cette maladie violente et périlleuse, où il a été traité sans aucun ménagement. Il a encore dormi toute la nuit avec grande tranquillité. » Barbier nous apprend que l’émétique amena une évacuation charmante. (R)
Raunié, IV,55-58 - Clairambault, F.Fr.12698, p.91-93 - Maurepas, F.Fr.12630, p.421-23 - F.Fr.13655, p.89-91- Arsenal 2962, p.158-60 - Arsenal 3132, p.624-27