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La Disgrâce du duc de Bourbon

La disgrâce du duc de Bourbon1
Or, écoutez, petits et grands,
L’histoire d’un événement
Qui a surpris toute la France,
Quand on a vu tourner la chance
Contre un ministre trop méchant
Qui perdait les honnêtes gens.

Ce fut un beau jour de mardi
Que notre jeune roi Louis
Dit à Charost, son capitaine :
Monsieur, prenez tantôt la peine,
Tenant en main votre bâton,
D’arrêter le duc de Bourbon2 .

Ayant dit ces mots en secret,
Le roi partit pour Rambouillet,
Pendant que le premier ministre,
Ne prévoyant rien de sinistre,
Assis dedans un beau fauteuil,
Travaillait avec de Breteuil.

En cet instant voici Charost
Qui, d’un air modeste et dévot,
Se fait annoncer à l’Altesse
Pour affaire, dit-il, qui presse.
On le reçoit en rechignant,
Mais comme importun seulement.

Ce fut bien pis quand il eut lu
L’ordre du roi très absolu.
Cornes lui vinrent à la tête,
Ne s’attendant à telle fête.
Il fallut pourtant obéir,
Et sans aucun délai partir.

Lorsque sa maudite catin
Apprit le changement soudain,
Pénétrée d’ire et de rage,
Aussitôt elle déménage
Bijoux, perles et diamants,
Et prit congé de ses amants,

Dont le nombre n’est pas petit,
Car la gueuse a bon appétit.
A Chantilly, en diligence,
L’esprit rempli de vengeance,
Elle s’achemine à grands pas,
Méditant sur ce triste cas.

Le Cyclope l’apercevant
L’embrasse très étroitement,
Puis, en jurant de bon courage,
Lui promet de faire la rage
Si jamais il a le dessus
Contre leur ennemi Fréjus3 .

Le lendemain de bon matin,
Nouvelle vint pour le certain,
Que le roi redonne la guerre
Au sieur Le Blanc, son adversaire,
Et que les autres exilés
Vont tretous être rappelés4 .

Que les quatre frères Paris
Étaient déjà du moins bannis5 ,
Et qu’enfin toute la séquelle
Dont il avait pris la querelle,
Risquait la corde ou le carcan
Pour apaiser les mécontents.

Tout cela n’était encor rien.
L’on tenait assez bon maintien
Jusques à ce que la de Prie
Fut contrainte, toute en furie,
De faire Gille et décamper
Pour aller en exil pleurer.

A ce coup, le Cyclope outré,
Frappant du poing son œil crevé,
Maudit cent fois le ministère,
Ne cessant de pleurer et braire
Sur le départ de sa catin,
Qu’on chasse comme mauvais train

Or, prions le doux Rédempteur
Qu’il change de ce duc le cœur,
Afin qu’il ait repentance
D’avoir tant fait de violence
Pour une gueuse et un fripon
Qui devraient être à Montfaucon.

  • 1Autre titre: Chanson sur l'exil du premier ministre (F.Fr.10475)
  • 2« Le 11 juin, le roi ayant invité M. le Duc à venir coucher à la maison de plaisance de Rambouillet et étant parti, disait‑il pour l’attendre, le duc de Charost, capitaine des gardes, vint arrêter ce prince dans son appartement ; il le mit entre les mains d’un exempt qui le conduisit à Chantilly, séjour de ses pères et son exil. Pour Mme de Prie, elle fut envoyée au fond de la Normandie, où elle mourut bientôt dans les convulsions du désespoir. » (Voltaire.) (R)
  • 3L’abbé de Fleury, évêque de Fréjus, était très bien en cour. Il eut une dispute avec M. le Duc qui tâcha de le faire exiler, et au contraire ce fut lui qui le fut à Chantilly. (M.) (R)
  • 4« Dès que M. le Duc fut arrêté, on envoya ordre à M. Le Blanc de revenir, et permission à M. de Belle‑Isle pour son retour… M. Dodun et M. de Breteuil ont donné la démission de leurs charges, et se sont conduits avec esprit, fermeté et beaucoup de décence. M. Des Forts est contrôleur général. » (Correspondance de Marais) (R
  • 5« Les quatre frères Pâris, surtout Duvernay, qui était le conseil de M. le Duc, sont exilés chacun d’un côté, on dit à l’exception de Pâris‑Montmartel, garde du trésor royal. On saura cela plus au juste. Ils doivent être partis tous quatre cette nuit. » (Journal de Barbier) (R)

Numéro
$0623


Année
1726 (Castries)




Références

Raunié, V, 73-77 - Clairambault, F.Fr.12699, p.333-34 - F.Fr.10475, f°256-257 - F.Fr.12800, p.180-83 - F.Fr.15019, f°88-90r - F.Fr.15143, p.330-36 -BHVP, MS 639, p.369-75 - Mazarine Castries 3984, p.123-27 - Toulouse BM, MS 861, p.5461-64