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Le ministère de M. le Duc

Le ministère de M. le Duc1
Mon venin jadis s’écoula
Sur un tyran des plus horribles,
Pour un second Caracalla
Mon venin jadis s’écoula,
Ses noirceurs ma plume étala,
Elle rendit chacun sensible ;
Mon venin jadis s’écoula
Sur un tyran des plus horribles.

Sur un monstre né de l’Etna,
Cyclope cruel et terrible,
Qui, depuis peu, nous opprima,
Comme un monstre né de l’Etna,
Du même feu qui m’anima,
Soufflons des traits inextinguibles.

Quoique petit-fils d’un héros
Prudent, valeureux, invincible,
Tu croupis dans un vil repos,
Quoique petit-fils d’un héros,
L’esprit stupide et peu dispos.
Avec la gloire incompatible.

Afin d’assouvir ton dessein,
Ivre d’une humeur jalouse,
Armé d’un poison assassin,
Afin d’assouvir ton dessein
Tu consumes le chaste sein
De Conti, cette jeune épouse2 .

Au trépas du Néron françois
Reconnu ministre de France,
Après les tragiques abois
Du trépas du Néron françois
Te voyant seul maître des lois
Tu détruisis la confiance.

Tu places au ministériat
Un citoyen d’une âme traître,
Un déserteur, un scélérat.
Tu places au ministériat
Cette âme double ; ce forçat
De tous nos trésors se rend maître

Ton devancier n’a rien laissé
Et d’un chacun la caisse est vide,
En sangsue il nous a sucés :
Ton devancier n’a rien laissé ;
Un autre chemin t’est tracé
Dont ton âme paraît avide.

Tu nous attaques par la faim,
Trop insatiable Tantale,
Tu nous empoisonnes le pain,
Tu nous attaques par la faim ;
D’Ombreval, cet homme inhumain,
S’est rendu chef de la cabale.

Tous tes goulus prédécesseurs,
Quoique pleins de noires envies
Du pillage tous assesseurs,
Tous tes goulus prédécesseurs,
Par de si terribles noirceurs,
N’attaquèrent jamais nos vies.

Du peuple écoute les clameurs,
Vois le trépas qui l’environne ;
L’un trébuche, l’autre se meurt ;
Du peuple écoute les clameurs ;
Cesse tes injustes rigueurs,
Leur tendresse encor te pardonne.

Qu’entends-je, ô ciel ! est-il certain
Que tout le mal qui nous accable
Vient des ressorts de ta p… ?
Qu’entends-je, ô ciel ! est-il certain ?
Cette élève de l’Arétin,
Dans la luxure infatigable.

Quelles troupes sont en ces lieux3  ?
Veut-on nous empêcher de vivre ?
Où vont ces soldats furieux,
Quelles troupes sont en ces lieux ?
Combien ce ministre est affreux !
Au plus cruel sort il nous livre.

Eh quoi ! même pour de l’argent
On refuse la subsistance.
Le boulanger est négligent.
Eh quoi donc ! au son de l’argent !
Qui peut donc le rendre obligeant,
S’il est sourd à notre finance ?

Voudrais-tu nous anéantir ?
Bourreau, poursuis, finis, achève ;
Partout on entend retentir :
Voudrais-tu nous anéantir ?
Hélas ! qu’en puis-je pressentir ?
Je vois qu’un haut gibet s’élève.

Avec un funeste concours
Quels innocents vont donc s’y rendre ?
Plein de fureur un peuple y court
Avec un funeste concours.
Pour vouloir prolonger nos jours,
Barbare, eh quoi ! tu nous fais pendre4  ?

Tu viens de choisir pour ton roi,
Cœur lâche, une princesse obscure ;
Une reine contre la loi,
Tu viens de choisir pour ton roi,
Mais un chacun se rit de toi,
Voyant son âme chaste et pure.

Ta cruelle brutalité
Pour avilir le diadème
La prit sans biens et sans beauté,
Ta cruelle brutalité ;
Tu croyais t’avoir attiré
Par là le pouvoir suprême.

Tu t’es flatté d’un espoir vain,
Est-il personne qui n’en rie ?
A présent ton pouvoir est vain ;
Tu t’es flatté d’un espoir vain.
Tu te dépites et jures en vain,
La puissance enfin t’est ravie.

Un saint prélat t’avait déplu,
Sa douceur te faisait ombrage,
Ta hauteur avait prévalu,
Un saint prélat t’avait déplu5  ;

A ta place il vient d’être élu,
Ta fureur en grince de rage.
Un David vient de t’exiler
Comme un Séba rebelle et traître,
Perfide, il te faut défiler,
Un David vient de t’exiler ;
Ta rosse il te faut dételer
Du chariot de notre maître.

Que vois-je, te voilà parti ?
La joie éclate dans la ville6 .
Par la décadence abruti,
Que vois-je ? te voilà parti ;
Tu devrais être converti
Par un tel coup, pauvre imbécile.

La putain qui, d’un air absolu,
Regardait notre sage reine,
Sa politique a prévalu.
La putain qui, d’un air absolu,
Et décamper il a fallu.
Dieu ! qu’elle nous sauve de peine.

D’Ombreval, ce vil proconsul,
Cet oppresseur de l’innocence,
A présent son pouvoir est nul.
D’Ombreval, ce vil proconsul,
Il court au fond de son accul
Suivant la royale ordonnance

Un air plus doux et plus serein
S’écoule jusqu’au fond des âmes
Par le secours de Barbarin,
Un air plus doux et plus serein.
Autorisé du souverain,
Il éteint vos perfides trames.

Poursuis par quelque cruauté,
D’éteindre à jamais ta mémoire.
Rends-la digne d’éternité.
Poursuis par quelque cruauté,
Mais songe qu’un être irrité
Par ta mort peut venger sa gloire,
Poursuis par quelque cruauté
D’éteindre à jamais ta mémoire.

  • 11725-1726. Règne du duc de Bourbon (Arsenal 2391)
  • 2 On dit que M. le Duc empoisonna Mlle de Conti, sa première femme (M.)
  • 3Cette année, les soldats aux gardes étaient commandés pour aller dans les marchés de Paris, crainte que le peuple ne se soulevât. (M.) (R)
  • 4Deux manœuvres qui furent pendus à la porte Saint‑Antoine pour s’être récriés et avoir causé une émeute dans le faubourg, au sujet du prix du pain (M.) (R)
  • 5M. le Duc et sa maîtresse, jaloux de l’influence de Fleury, avaient intrigué pour l’éloigner, et l’on put croire un instant qu’ils avaient réussi, lorsque l’évêque, mécontent d’avoir été exclu du conseil du roi auquel il assistait toujours, se fut retiré à Issy. Mais le roi fut vivement affecté de la retraite de son précepteur. « Il aimait en lui, dit Voltaire, un vieillard qui, n’ayant rien demandé jusque là pour sa famille, inconnue à la cour, n’avait d’autre intérêt que celui de son pupille. Fleury lui plaisait par la douceur de son caractère, par les agréments de son esprit naturel et facile. Il n’y avait pas jusqu’à sa physionomie douce et imposante et jusqu’au son de sa voix qui n’eût subjugué le roi. M. le Duc, ayant reçu de la nature des qualités contraires, inspirait au roi une secrète répugnance. » Le monarque réclama instamment son précepteur et M. le Duc fut obligé d’écrire lui‑même à l’évêque pour le prier de revenir. Dès lors la disgrâce du premier ministre parut inévitable, et ne se fit pas longtemps attendre. (R)
  • 6« Le peuple a été si content de ce changement, qu’on a été obligé d’empêcher qu’il ne fît des feux de joie dans les rues, ce qui aurait trop insulté la personne d’un prince du sang. M. Hérault, lieutenant de police, a écrit une lettre à tous les commissaires des quartiers de Paris pour l’empêcher. » (Journal de Barbier). Mais le peuple se dédommagea par ce que le même annaliste appelle des polissonneries très fines.

Numéro
$0624


Année
1726 (Castries)




Références

Raunié, V,77-85 - F.Fr.12674, p.95-108 - F.Fr.15132, p.116-130 - Arsenal 2391, f°94v-102v - Arsenal 3116, f° 57v-61r - BHVP, MS 658, p.59-65 - Mazarine, MS 2164, p.202-15 - Mazarine Castries 3984, p.76-86 (ordre différent et nombreuses variantes) - Toulouse BM, MS 856, f°99v-107r


Notes

Sur le ministère du Duc de Bourbon