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La Diafoirade. Satire burlesque

La Diafoirade1
Satire burlesque
Quoi donc, un Thomas Diafoirus,
Dernier galopin d’Esculape,
Qui, pour quelques petits écus,
Qu’en tâtant le pouls il attrape,
Se prend pour un savant en us,
Pour premier moutardier du pape ;
Quoi, dis-je, un docteur de bibus,
Qui n’a que le bonnet, la cape,
Du bec, un front large et rien plus,
Se joue au chantre d’Esculape !
D’Atropos un subdélégué,
Plus effronté qu’un chien qui jappe,
Inhabile à sonder le gué,
Comme un sot mordant à la grappe,
Impunément m’aurait nargué ?
M’aurait devancé d’algarades,
Cru s’être ainsi bien distingué ;
Et fier de ses carabinades,
De son gros ton prétendu gai,
Sans se vanter de mes ruades,
Tout à l’aise, aura divulgué
Ses petits triomphes maussades ?

Et MOI sous qui Burlon2 trembla,
Moi, le fléau des mascarades ;
Moi, des Attila l’Attila,
En butte à ses fanfaronnades,
J’hésiterais, l’ayant si beau,
Sur ce triacleur à cacades,
Qui me prend pour un poétereau,
De porter quelques estocades !
Guerre, guerre au godelureau !
Provision de Pironades ;
Flamberge au vent ! Loin le fourreau !
Pégase, une ou deux pétarades
Au nez du médecin M**.
Comme bien de ses camarades,
Petit docteur et grand bourreau,
Battant sous quinze olympiades,
Le pavé, du soir au matin ;
Étouffant d’humbles accolades,
Tous ceux qu’il trouve en son chemin ;
Étranglant de ses embrassades
Et l’honnête homme et le faquin ;
Assommant de quolibets fades ;
Tranchant du petit Gui Patin ;
Assassinant de ses tirades ;
Écorchant quelque mot latin ;
Empestant de turlupinades ;
Déchirant gaiement le prochain ;
Tuant, en vertu de ses grades ;
Brûlant, glaçant, saignant sans fin,
Et massacrant tous ses malades.

Par bonheur, il en a fort peu,
Ne sachant éblouir, ni plaire ;
Et comme Silva, grâce à Dieu,
N’ayant pas le talent d’en faire ;
Ni le crédit de mettre en jeu,
Pour lui, l’encensoir de Voltaire.

Sur un sale et vieux canapé,
Je vois pourtant le pauvre hère,
Une plume à la main, campé
Dans un comptoir d’apothicaire,
Faisant beaucoup l’homme occupé,
Et pour quelque visionnaire,
D’hier foireux, ou constipé,
Qu’en courant, comme à l’ordinaire,
Dans la rue il aura dupé,
Griffonnant un itinéraire.

Auprès du docteur mercenaire,
Je vois la belle au nez coupé,
La Mort, pour parler en vulgaire,
Monstre sec, allègre et huppé,
Aiguisant sa faux sanguinaire,
Dont, à coup sûr, on est frappé,
Et e son munitionnaire,
Ratifiant le récipé.

Gagnons au pied, non de peur d’elle,
Elle est moins à craindre que lui.
Je crains toutefois la cruelle ;
Mais mille fois moins que l’ennui ;
S’il m’approche, j’en ai dans l’aile
Et j’en ai pour tout aujourd’hui.
Il n’est rebut qui le renvoie ;
Tenace comme l’Achéron,
Jamais il ne lâche sa proie.
Je m’esquivais comme un larron,
Qu’après le coup la peur fourvoie ;
Pour mon salut, du vieux Caron,
J’aurais empoigné l’aviron,
Comme on prend tout quand on se noie.
La voix de Stentor se déploie :
– « Hola, ho ! Hé ! L’ami Piron ?
Vive la vieillesse et la joie !
Depuis un siècle ou environ,
On n’a de vous ni vent, ni voie !
Ciel, que ne suis-je né ciron !
Pour que de moins loin on me voie ! »
Faisons le sourd et fendons l’air.
– « Halte-là ! Le Ciel te foudroie !
Un mot ! Expecta paulisper ! »
Je reste sous un bras de fer,
Droit sur mes deux pieds, comme une oie.
« Baisez ! Voyez qui vous festoie ? »
Monsieur, je ne vois pas trop clair.
Non, mais le moyen qu’on vous croie,
Vous arpentez comme un éclair. »
Sauve qui peut ! Je fuis la peste ;
Serviteur à Monsieur M***!
Demain nous nous dirons le reste.
Momus m’attend à mon bureau.
« Vos propos sont bien rigoureux. »
C’est un petit coup d’étrivière,
Tel que je donne aux fâcheux.
Si vous trouvez l’ami R***3
Partagez l’aubaine à vous deux4 .

  • 1Je fis cette satire contre un médecin nommé M***, homme fort avantageux, qui s’avisa de vouloir me plaisanter un jour, à l’audience d’un ministre chez lequel nous nous trouvâmes ensemble. Il m’attaqua très indiscrètement, devant une nombreuse assemblée. J’allais lui répondre, lorsque le Ministre parut et m’appela. Le doteur avait fait rire les auditeurs à mes dépens; et comme je n’avais pas eu le temps de les faire rire aux siens, à mon tour, et que je ne le retrouvai plus quand je sortis du cabinet du Ministre, je composai cette folie en rentrant chez moi. (Piron)
  • 2L’abbé Desfontaines. (Piron)
  • 3Autre médecin de la même trempe. (Piron)
  • 4Un de ces agréables indiscrets, polis, vifs et grossiers qui se permettent tout, entra brusquement dans mon cabinet comme je finissais cette bouffonnerie; j’eus beau la cacher, il la voulut voir; la vit et dans la première compagnie, en parla de façon à faire désirer vivement à ses pareils de la voir. Le plaisant, c’est que le sieur M***, qu’il ne connaissait pas, était présent. Les rire se tournaient vers lui, à l’insu du narrateur. (Piron)

Numéro
$4989


Auteur
Piron



Références

Piron, OC, t.IX, p.30-34