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Compliments à Louis XV

Compliments à Louis XV1
Enfin c'est aujourd'hui que mon prince a sept ans !
A cette époque les enfants
Mettent la raison en usage.
Mais quel bonheur ! depuis longtemps
Louis a prévenu cet âge ;
Pieux, sage, appliqué, docile, studieux,
Pénétrant, à chacun affable2 , gracieux.
A sept ans ! O l'heureux présage
Que le nombre de sept est pour lui nombre heureux.
Dans la religion comme dans la nature,
Ce nombre fut toujours d'un excellent augure.
Dieu créa le monde en six jours,
Le septième, il cessa l'ouvrage ;
Par sept branches le Nil termine tous ses tours ;
Le monde est dans son septième âge ;
La terre produit sept métaux ;
Nous comptons au ciel sept planètes ;
Saint Jean nous a parlé de sept sceaux,
Sept églises et sept trompettes.
Le Seigneur a prescrit, tant aux peuples qu'aux rois,
De pardonner septante fois sept fois ;
Sept vertus, trois théologales
Et quatre cardinales,
Sont des présents qui nous viennent des cieux.
Ce nombre est saint, il est mystérieux.
Sept épis pleins, sept vaches grasses
Parurent en dormant aux yeux de Pharaon ;
David, sept fois par jour, faisait son oraison.
Le Seigneur a donné pour sources de ses grâces
A l'Église sept sacrements ;
Sept dons du Saint-Esprit sont autant de présents
Qui, pour nous rendre saints, sont puissants, efficaces ;
Des sept articles du Pater
Vous me donnez, sire, le quatrième ;
Que Votre Majesté veuille me l'assurer,
Dieu lui donnera le septième.
Le septénaire est donc un nombre heureux3 .
Puisqu'aujourd'hui Louis atteint cet âge,
Je ne serais reconnaissant ni sage
Si je manquais pour lui de faire à Dieu des voeux.
Sire, pendant sept ans une grande duchesse4
Vous a donné ses soins, ses veilles, sa tendresse ;
Aujourd'hui Villeroy, comme Joïada5 ,
Par des conseils pleins de sagesse6 ,
Du Joas de nos jours formera la jeunesse
A régir saintement le trône de Juda.
Fasse le ciel qu'après le cours de sept anneées,
Grand roi, vous méditiez encore aussi longtemps
Ses conseils sages et prudents,
Et que par vos bienfaits on compte vos journées ;
Qu'après avoir vécu quatorze fois sept ans,
Victorieux de vous, des conquérants,
Dieu couronne vos destinées.

  • 1Compliment du Houzard à Louis XV. (M.) Ce petit Houzard était le fils d’un pauvre habitant de Versailles qui avait été élevé avec le roi et le réjouissait par son esprit. Le 15 février 1717 Louis XV entra dans sa septième année, et c’est à cette occasion que fut fait le compliment : « Le roi fut assez gai le matin (du I5 fév.) en se levant, dit Dangeau, mais quand M. le duc d’Orléans fut arrivé chez lui, et que Mme de Ventadour lui dit qu’elle remettait le précieux dépôt qui lui avait été confié et baisa la main au roi en prenant congé de lui, il se jeta à son col et l’embrassa tendrement en fondant en larmes. Mme de Ventadour lui dit : « Mais, Sire, il faut écouter la raison. — Ah ! maman, lui dit‑il, je ne reconnais plus de raison quand il faut m’éloigner et me séparer de vous. » M. Ie duc d’Orléans donna de grandes louanges à Mme de Ventadour, la remercia de tous les soins qu’elle avait pris du roi, et puis il remit le roi entre les mains de M. le maréchal de Villeroy son gouverneur. » (R)
  • 2Ceci n’est pas absolument exact, s’il faut en croire les renseignements fournis par la Vie privée de Louis XV. « Le jeune roi, remarque l’auteur, montrait dès ce temps-là ce penchant à dire des vérités désagréables à ceux qui l’approchaient, franchise que dans la société, entre égaux on appellerait impolitesse, malhonnêteté, mais qui de la part d’un maître est dureté et barbarie. Le trait suivant pourrait ne passer que pour une naïveté de l’enfance, si dans la suite on n’eût reconnu qu’il tenait de son caractère. On présentait au jeune roi M. de Coislin, évêque de Metz, d’une figure peu revenante. Le voyant, il s’écria devant lui : Ah ! mon Dieu, qu’il est laid ! Cette fois le prélat lui fit la leçon lui-même. Il se retourne et s'en va en disant, avec une liberté non moins grande : Voilà un petit garçon bien mal appris ! » Toutefois les éloges exagérés du poète paraissent naturels, si l’on songe à l’amour enthousiaste et à l’admiration naïve que le peuple de Paris éprouvait pour le petit roi, ce dernier rejeton de la famille des Bourbons, miraculeusement conservé par la Providence. (R)
  • 3Cette accumulation de preuves historiques, bibliques et théologiques en faveur du nombre sept est un chef-d’œuvre d’érudition indigeste et déplacée. (R)
  • 4La duchesse de Ventadour, qui était une demoiselle de La Motte‑Houdancourt. Elle avait vécu longtemps séparée de son époux, homme contrefait et fort laid. En s’occupant de son époux, les satiriques ne l’oublièrent pas dans leurs chansons : Sa femme par prudence / L’a quitté depuis vingt ans, / N’a souffert pas trop longtemps / Son importune présence ; / Je n’en en dirai pas le nom ; / Elle a soin des fils de France. (R)
  • 5C’est le nom biblique de la femme du grand‑prêtre Joad ; Racine l’a appelée Josabeth. (R)
  • 6Ils étaient bien sages, en vérité, les conseils de Villeroy ! Duclos va nous en donner un échantillon : « La fête de Saint‑Louis fut célébrée aux Tuileries par des feux d’artifice qui attiraient une foule considérable dans le jardin et dans les cours. C’était dans ces occasions que le maréchal de Villeroy développait ses grands talents pour l’éducation. Il menait continuellement son roi d’une fenêtre à l’autre en lui disant : Voyez, mon maître, voyez ce peuple ; eh bien, tout cela est à vous, tout vous appartient, vous en êtes le maître ! – Belle leçon ! au lieu de lui faire remarquer l’amour des peuples et la reconnaissance que le roi leur doit. Mais le maréchal n’en savait pas tant. » (R)

Numéro
$0179


Année
1717




Références

Raunié, II,188-92