Sans titre
Approchez-vous, mes bons amis,
Venez entendre des récits
Qui sont, il est vrai, lamentables.
Or écoutez donc ma chanson
Comme vous feriez un sermon.
C’est à l’endroit de notre Roi
Qui passe chez vous et chez moi
Pour un monarque inimitable,
Doux, familier, au peuple affable.
Lisez, vous verrez qu’autrefois
N’en fut un tel chez les François.
A Dunkerque Sa Majesté
Subjuguait à sa volonté
Toutes les villes de la Flandre
Quand un courrier lui vint apprendre
Que son ennemi le Lorrain
S’en venait de passer le Rhin.
A ce récit, triste et rêveur,
Il parut de mauvaise humeur,
Ce qui pourtant ne dura guère
Car il tint un conseil de guerre
Et prit sur-le-champ le dessein
D’aller dans le pays messin.
Bien trente mille combattants
Conduits de vaillants commandants
De le suivre reçurent l’ordre.
Je ne veux, dit-il, en démordre.
En Alsace allons, mes amis,
Y confondre nos ennemis.
Aussitôt dit, ausitôt fait,
En bref chacun fit son paquet.
Tambour battantl’on s’achemine
Nos guerriers faisant bonne mine
Accompagnent leur souverain
Et sans s’arrêter vont bon train.
Ce fut à Metz le rendez-vous.
Tout fut mis sans sessus dessous
Pour au Roi faire belle entrée.
Toute la ville fut sablée
Et les murs furent tapissés
Tant et tant que c’était assez.
On commanda des jeunes gens,
Tous au-dessous de quatorze ans,
Avec la plume sur l’oreille
Et tous habillés à merveille,
Ceux-ci d’habit couleur de feu,
Et les bourgeois en habit bleu.
Des arcs de triomphe partout
Etaient construits de bout en bout
Et des fleurs en tous lieux semées
Faisaient de très belles jonchées.
En un mot, la ville en fit tant
Que le Roi parut très content.
Le lendemain, dès qu’il fut jour,
Il fit de la cité le tour.
Trois jours il visita la place
Et répond à la populace
Qui criait Vive notre Roi,
Et Vive mon peuple avec moi.
Dans le Conseil fut arrêté
Que partirait Sa Majesté
Le huit d’août pour joindre l’armée.
Mais la ville fut alarmée
Entendant dire à gens de bien
Qu’Elle ne se portait pas bien.
On s’informait de tout côté :
Comment va donc Sa Majesté ?
Mais à cela point de nouvelle.
Une certaine jouvencelle
Qu’il aimait passionnément
Faisait fermer l’appartement.
La jouvencelle en question,
Si vous ne savez pas son nom,
C’est Madame de la Tournelle,
Femme complaisante et bien belle,
Qui pour le plus beau des bijoux
Fut duchesse de Châteauroux.
La dame dont j’ai dit le nom
Avait communication,
Au moyen d’une galerie
Construite de menuiserie
D’aller chez le Président1
Voir à toute heure son amant.
Cependant, au bout de trois jours,
Craignant qe le Roi sans secours
Ne fût en danger de la vie,
J’ai, dit Monsieur de Chartres, envie
De forcer la porte et d’entrer
Malgré les efforts de l’huissier.
Chacun opina du bonnet
Et tout ce qui fut dit fut fait :
Malgré la grosseur de son ventre
Le Prince pousse la porte, entre.
Monsieur de Soissons le suivit.
La Dame en les voyant s’enfuit.
Sans tant tourner autour du pot,
Monsieur de Soissons qui n’est sot,
Dit comme un bon pasteur doit dire :
Je vous trouve en grand danger, Sire,
Et vois que pour notre malheur
Il vous faudrait un confesseur.
Mais, Sire, avant d’en venir là,
Et prenez bien garde à cela,
Pour que le Seigneur vous guérisse,
Et que nos vœux il accomplisse,
Il faut, je le dis enre nous,
Il faut chasser la Châteauroux.
Louis à ce discours dévot
Ne répondit pas un seul mot.
Sur ce le prélat se retire,
Bien résolu à le redire.
Cependant le Prince aux abois
Du pied est resaigné six fois.
Le lendemain le prélat vint
Et les mêmes propos lui tint.
Bien peu s’en faut qu’il ne larmoie.
Le Roi répond : qu’on la renvoie
Et de cette commission
Je charge Monsieur d’Argenson.
Le tour fut vite exécuté,
Mais la Dame à Sa Majesté
Vint encore demander grâce.
Mais le Roi, froid comme la glace,
Lui dit : Madame, quittez Metz,
Que je ne vous voie jamais.
Entre aussitôt le confesseur
Qui rend grâce à Dieu de bon cœur
D’uen conversion si prompte.
Le Roi tous ses méfaits raconte
Et reçoit l’absolution
Et songe à sa communion.
Avant pourtant d’en venir là
Son aumônier il appela.
Monsieur, dites à l’assemblée
A quel point j’ai l’âme troublée
De tous les scandales pervers
Que j’ai fait voir à l’univers.
A Dieu j’en demande pardon
Comme à la maison de Bourbon,
Ainsi qu’à mon peuple fidèle
Dont j’implore aujourd’hui le zèle
Pour que vers le Ciel par leurs cris
Ils m’obtiennent le paradis.
Qu’on prenne le plus court sentier
Et qu’on y dépêche un courrier
Pour me faire venir la Reine
A qui j’ai tant causé de peine,
Pour qu’elle vienne incessamment
Recevoir du soulagement.
Mais la Reine étant en chemin
Arriva dès le lendemain.
Le Roi lui fit très bonne mine
Et se soutenant sur l’échine,
Avec un air doux et bénin,
Notre Roi lui tendit la main.
Madame, approchez-vous de moi.
Voyez votre époux, votre Roi,
Qui d’une âme bien epentante
Vous jure d’une voix mourante
Qu’il n’aura des yeux que pour vous
Comme doit faire un bon époux.
Me pardonnez-vous le passé ?
Mais la Reine, le cœur percé,
Ne put lui dire une parole,
Mais se jetant sur lui l’accole.
Après quoi Perusseau2 , témoin,
Les laissa, s’éloignant plus loin.
La Reine fut en cet état
Une heure avec le potentat.
Pour nous, le reste est lettre close,
On n’en sait pas la moindre chose.
Mais ce qu’on sait certainement,
C’est son parfait contentement.
Depuis ce jour-là, Dieu merci,
On apprend tous les jours ici
Que sa santé se renouvelle.
Grand Dieu, l’agréable nouvelle !
De grâces rendons action
En entonnant le Te Deum.
- 1M. de Montholon, premier président du parlement de Metz, chez qui Madame la duchesse de Châteauroux était logée, et comme sa maison était vis-à-vis celle du gouverneur que le Roi occupait, on avait fait une galerie couverte pour faciliter à la Dame d’aller chez le Roi sans être vue. Le jour que le Roi reçut le viatique, la galerie fut abattue.
- 2Perusseau, fameux prédicateur jésuite qui remplaça le Père de Lignières, retiré depuis quelque temps, peut-être faute d’exercice.
Mazarine Castries 3988, p.400-08