Sans titre
Notre bon roi, Louis Quinzième1 ,
Il est vrai lève le dixième
Et va bien fouler ses sujets.
Mais il est sûr qu’en récompense,
Sans doute pour nos intérêts,
Il se ménage avec outrance.
Matin et soir, il soupe, il dîne
Avec certaine concubine,
Et de plus il passe son temps.
De tout son pouvoir se goberge,
Moyennant douze mille francs ;
Il en coûte plus à l’auberge.
C’est par an qu’il donne la somme,
Et vous allez apprendre comme
C’est dix-sept livres par repas.
La somme me paraît modique,
A moi qui donnait cent ducats
Par nuit à la belle Angélique.
Mailly, comment pouvez-vous faire
Pour le fournir du nécessaire ?
J’entends de quoi boire et manger,
Car pour mettre le Prince à l’aise
Tant d’autres s’y sont su loger
Qu’il entre là comme en sa chaise.
Les convives sortent-ils ivres
Pour u peu moins de dix-sept livres ?
Mailly, je ne le comprends pas.
Vous buvez du cidre sans doute
Et ne donnez dans vos repas
A ces convives qu’une croûte.
Tout au plus un peu de fromage
Pour accompagner ce breuvage.
Quelle diète que celle-là !
Onc on ne vit chose pareille.
Cependant ventre affamé n’a,
A ce que l’on dit, point d’oreille.
J’entends par ce proverbe antique
Qu’un manger si peu magnifique
Ne réveille pas l’appétit
Et me paraît peu convenable
Pour ce qu’on nomme le déduit
Qui se fait au sortir de table.
Un peu de vin, de bonne chère
Et liqueurs de toute manière
Agitent le corps et l’esprit.
Car vos jambes, quoique parfaites,
N’ont pu ranimer l’appétit
Que dans les premières défaites.
Aujourd’hui tout votre étalage
N’est plus pour vous d’aucun usage
Et vous trousseriez le jupon
Jusqu’au genou, jusqu’à mi-cuisse,
Que vous n’en tireriez, dit-on,
Pas le plus petit bénéfice.
Croyez-moi donc, quittez l’auberge
Ou renoncez à la flamberge
De notre monarque français.
Vos appas n’ont rien qui l’éveille.
Il faut pour maintenir son choix
Le secours du jus de la treille.
- 1Le Roi dîne et soupe, tous les jours qu’il ne chasse pas, chez Madame de Mailly. M. le duc d’Ayen, M. le comte de Noailles et M. de Meuse y sont tous admis. Le Roi pour cela donne à cette Dame douze mille livres par mois pour ce dîner et ce souper, ce qui a donné occasion à cette chanson.
Mazrine Castries 3987, p.414-17