Portrait du roi
Portrait du roi
Chantons, chantons le jeune roi
Qui fait notre espérance ;
Il apprend à donner la loi
Dès sa plus tendre enfance ;
Ce n’est pas un petit emploi
Que de régner en France.
Il est beau comme le beau jour ;
Il a la taille fine,
Il a la jambe faite au tour.
Vraiment que l’on examine,
Les petits seigneurs de sa cour,
Ont-ils si bonne mine ?
Comme fils de bonne maison
On prend soin de l’instruire ;
Il a des gens de grand renom
Qui savent le conduire :
Fleury, Villeroy, de Bourbon,
Duc Régent, c’est tout dire.
Il mord, dit-on, dans le latin
Comme faisait son père,
Il a souvent le livre en main
Et lit bien sa grammaire,
Mais pour savoir la fin du fin,
Il lit son grand-grand-père1
.
On voit qu’il a beaucoup d’esprit
A sa physionomie :
Bien qu’il soit encore petit,
Il paraît grand génie,
Il entrera sans contredit
Dedans l’Académie.
On assure qu’il est savant
Dans la géographie2
,
Preuve qu’il sera conquérant
Dans le cours de sa vie ;
Sur la carte Alexandre enfant
Prenait déjà l’Asie.
Quand il danse à son joli bal
Il fait bien la figure ;
Il monte et se tient à cheval
Droit comme une peinture ;
Il tire, et ne tire pas mal,
J’en tire bon augure.
Ce jeune prince est tout charmant,
Il est bon sans mélange ;
Sur un certain point seulement
Son humeur est étrange.
Il n’aime point les compliments,
Il fuit toute louange.
Mais puisqu’il sait la mériter
Il a tort de la craindre.
Chantons, chantons sans hésiter.
A quoi bon nous contraindre ?
Nous avons droit de le chanter
Ainsi que de le peindre.
Ah ! puisque pour tous ses sujets
Il a le cœur si tendre,
De lui chanter quelques couplets,
Pourrait-il nous défendre ?
En tout chantons, chantons-le,
Il ne peut nous entendre.
Chantons, buvons à sa santé,
Sa santé nous est chère ;
Prions tous le Dieu de bonté
Que ce prince prospère,
Qu’il soit des méchants redouté,
Des bons qu’il soit le père.
- 1Allusion aux Mémoires historiques, rédigés par Louis XIV, pour l’instruction du Dauphin et du roi d’Espagne Philippe V. (R)
- 2« Ce prince annonçait d’heureuses dispositions pour son âge. Quoique la délicatesse de son tempérament empêchât qu’on ne poussât son éducation du côté des études qui exigeaient une certaine contention d’esprit, il parut, dès 1718, un livre intitulé Cours des principaux fleuves de l’Europe, qu’on fit imprimer sous son nom comme de sa composition, et dont on tira cinquante exemplaires que s’arrachèrent les courtisans. On dit que M. Delisle, son instituteur en cette partie, l’avait beaucoup aidé. Il fallait bien cependant que l’élève y eût quelque part pour que l’adulation imaginât de flatter ainsi son amour‑propre. » (Vie privée de Louis XV.) (R)
Raunié, IV,168-71 - F.Fr.13655, p.465-68 - Mazarine Castries 3993, p.170-73