

Panégyrique de Louis XIV1
Quel bruit impétueux, quelle rage effrénée
Travaille à l’instant tous les cœurs2 ?
A peine de Louis la course est terminée,
Ses sujets déchaînés vomissent mille horreurs ;
De libelles grossiers l’injurieux déluge
Inonde la ville et la cour.
La halle même, en critique à son tour3,
Au rimeur insolent prête un honteux refuge.
Que faut-il pour vous exciter,
Traîtres adulateurs, troupe avide et servile ?
Le sordide intérêt en éloges fertile
N’a-t-il plus rien à vous dicter ?
A l’immortalité vos flatteuses promesses
Désormais ne l’élèvent plus.
L’écrivain le plus vil attaque ses faiblesses.
Vous n’osez seulement défendre ses vertus.
Pourquoi vous démentir ? Quelle âme assez altière
Pouvait à ce héros refuser son respect ?
N’eût-on pas dit, à son aspect,
Qu’il régnait sur la terre entière ?
Vit-on jamais d’exploits plus beaux ?
Au bruit de ses premières armes,
Le Batave saisi des plus vives alarmes
Chercha son salut dans les eaux4.
Jusqu’où ses ennemis, par de promptes retraites,
N’ont-ils point élevé sa suprême grandeur ?
Que de talents ! que de splendeur !
Mais c’est trop hasarder, les plus savantes plumes
Pourront-elles réduire, au gré de l’univers,
La matière de cent volumes
A la mesure de cent vers ?
Sous tant de monuments illustres
Ce monarque, il est vrai, paraît enseveli ;
Après avoir brillé pendant plus de dix lustres,
A la fin l’étoile a pâli.
Hochstedt et Ramilly, Turin et Barcelone5,
L’hiver le plus affreux, l’usure au front d’airain,
Tant de malheurs ensemble ébranlèrent le trône
Sans ébranler le souverain6.
Tous ces événements sinistres,
Jusqu’aux injures des saisons,
Tous les égarements des chefs et des ministres
Sont pour le condamner d’implacables raisons;
Les bouillantes ardeurs de la tendre jeunesse
Sont un crime à lui seul, rien ne peut l’excuser ;
De ses ans prolongés la constante sagesse
Est un modèle à mépriser.
César fut adultère, et jadis Alexandre
N’écouta que la vanité ;
L’un et l’autre mit tout en cendre.
Ont-ils moins les honneurs de la postérité ?
La mort imprévue et facile
De leurs sanglants efforts interrompit le cours.
Dans le sein de la paix, d’un œil ferme et tranquille,
Louis compta ses derniers jours ;
Non que de ces vainqueurs la profane arrogance
Lui fît avec mépris insulter le trépas ;
Soumis à l’Éternel, il vit sans résistance
Cet instant qu’il ne craignait pas7.
Pourquoi donc, insensés, par les traits les plus lâches,
Jusque dans le tombeau troublez-vous son sommeil ?
Il avait ses défauts, le soleil a ses taches,
Mais il est toujours le soleil8.
Malgré tous vos serments, un coupable caprice
Vous soustrait au devoir promis.
Rendez-lui du moins la justice
Que lui rendent ses ennemis !
Du plus grand de nos rois, élève nécessaire,
Régent, vous répondez à nos tristes souhaits,
Vous voulez maintenir les biens qu’il nous a faits
Et réparer les maux qu’il nous a laissé faire ;
Mais dévoilez la scène, et, sans être surpris,
Vous verrez sur les vains théâtres
Des fourbes dans vos idolâtres,
Des ingrats dans vos favoris.
Numéro $0056
Année 1715
Auteur La Rue (Le P.) jésuite
Description
75 vers irréguliers
Notes
Ci-gît 1054
Références
Raunié, I 63-67 - Clairambault, F.Fr.12696, p.19 - Maurepas, F.Fr.12628, p.209-11 - F.Fr.12500, p.61-63 - F.Fr.12800, p.96-100 - F.Fr.15020, f°12-4 -F.Fr.15152, p.1-8 - NAF.9184, p.109-10 - Arsenal 2961, p.346-49 - Arsenal 3132, p.249-52 - Arsenal 3128, f°104v-105v et 277r-277v -Arsenal 3131, p.169-70 - BHVP, MS 551, p.314-16 - Mazarine, MS 4035, Pièce 26 - Sautreau, III,478-80
Mots Clefs Louis XIV, panégyrique