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Sans titre

Quel prodige surnaturel

En ces lieux va paraître ?

Que vois-je ? l’homme immortel

Qui veut cesser de l’être.

Tremblez, ô peuple de Sion !

La faridondaine, la faridondon,

Plus d’un malheur je vous prédis, biribi,

A la façon de Barbari, mon ami.

 

La mort se présente à ses yeux

Sous une autre couronne.

Je le vois qui fait ses adieux

A sa toute mignonne.

Je meurs, dit‑il, c’est pour raison !

Vous serez reine à Saint‑Denis.

 

Il se tourne vers le Dauphin

Et lui tient ce langage :

Mignon, je vous laisse à la fin

Un charmant héritage ;

Profitez‑en, car il est bon,

Depuis la paix tout y fleurit.

 

Ensuite il parle à son neveu

Et lui dit ce qu’il pense :

Je meurs content, puisque dans peu

Vous aurez la régence.

Mon testament vous en fait don,

Mon dernier codicille aussi1 .

 

Tellier, sans se faire appeler,

S’en approche avec zèle.

Si vous voulez, dit‑il, aller

A la gloire éternelle,

Laissez‑moi la commission

De remplir vos devoirs ici.

 

Le roi répond : je le veux bien,

Nommez aux bénéfices,

Je vous connais homme de bien

Sans fraude et sans malices.

Ah ! sire, que vous êtes bon,

Dit le confesseur attendri.

 

Voyant toute la cour en pleurs,

Il parle et la console,

Adieu pour toujours, je me meurs,

Car je perds la parole.

Alors se tait le grand Bourbon,

Laissant bien à penser de lui.

 

Français, préparez‑vous au deuil.

Je le vois, il expire.

Il entre enfin dans le cercueil

En héros qu’on admire.

Plongez‑vous dans

l’affliction,

Puisque vous perdez tout en lui.

 

Je vois Philippe au Parlement

Demander la régence2 .

Dût‑il y paraître charmant,

Il n’aura rien, je pense,

Car, suivant ma prédiction,

Le testament sera suivi3 .

 

Peuples, courez voir, en pleurant,

L’homme de Diogène ;

La mort, en son char triomphant,

A Saint‑Denis l’emmène.

Que de filles se souviendront,

D’avoir vu son convoi de nuit4  !

 

Hélas ! fallait‑il qu’il mourût,

Ce prince tant aimable ?

Son zèle pour notre salut

Était inconcevable.

Avec la Constitution

Il nous menait en paradis.

 

Sa sagesse et son équité

Brilleront dans l’histoire.

Par lui le mérite exalté

En publiera la gloire ;

Et du Pérou jusqu’au Japon

On ne parlera que de lui.

 

Si vous êtes chargés d’impôts,

Il n’en était point cause.

Il désirait votre repos,

Pouvait‑il autre chose ?

Vous lui faisiez compassion,

Il songeait plus à vous qu’à lui.

 

Vous alliez vivre très heureux

Dans une paix profonde.

Son ardeur à combler vos vœux

L’aurait rendue féconde.

C’était là son ambition ;

Mais voilà votre espoir détruit.

 

Il eût, sensible à vos besoins,

Fait régner l’abondance.

Il eût rétabli par ses soins

Bientôt la confiance.

Il y travaillait tout de bon,

La faridondaine, la faridondon,

Avec Desmarets5 et Bercy, biribi,

A la façon de Barbari, mon ami.

Pour faire circuler l’argent6

Il aimait la dépense.

Sa parole était du comptant.

Tout allait bien en France.

Chacun charmé d’un roi si bon

Disait partout : Vive Louis.

 

Ainsi respectez Desmarets,

Son ministre fidèle,

Reconnaissez à ses arrêts

Son mérite et son zèle,

Et pour la veuve de Scarron

Ayez bien du respect aussi.

 

Aimez le père Le Tellier,

Croyez son Évangile.

Croyez Fagon dans son métier

Aussi savant qu’habile.

Fuyez Quesnel et ses leçons.

Prosternez-vous devant Bissy.

  • 1 Le testament de Louis XIV instituait un Conseil de régence pour régler toutes les affaires de l’État ; le duc d’Orléans en avait la présidence, mais ne pouvait seul et de sa propre autorité prendre aucune décision; deux bâtards légitimés, le duc du Maine et le comte de Toulouse, figuraient dans ce conseil. La garde et éducation de Louis XV étaient spécialement confiés au duc du Maine, qui avait sous ses ordres tous les officiers de la maison du roi. Le premier codicille de Louis XIV donnait au duc de Villeroy le commandement des troupes de la maison du roi jusqu’à l’établissement définitif de la régence ; le second nommait l’abbé Fleury précepteur et le P. Le Tellier confesseur de Louis XV. (R)
  • 2« Le 2 septembre 1715, M. Ie duc d’Orléans a demandé au Parlement la régence qui lui appartenait par le droit de sa naissance ; il a dit que le roi la lui avait accordée dans les derniers jours de sa maladie, et qu’il lui avait dit qu’elle lui appartenait d’autant plus qu’il était l’héritier de la couronne si le jeune roi venait à mourir. » (Journal de Mathieu Marais.) (R)
  • 3Le chansonnier ne fut point prophète, et sa prédiction ne se réalisa pas, le parlement cassa le testament de Louis XIV et déféra la régence pleine et entière à Philippe d’Orléans. (R)
  • 4La mort de Louis XIV causa peu de regrets à la cour, et le peuple de Paris témoigna une joie scandaleuse. « Le jour où son corps fut porté à Saint‑Denis, dit Duclos, l’affluence fut prodigieuse dans la plaine. On y vendait toutes sortes de mets et de rafraîchissements. On voyait, de toutes parts, le peuple danser, chanter, boire, se livrer à une joie scandaleuse, et plusieurs eurent l’indignité de vomir des injures en voyant passer le char qui renfermait le corps. » (R)
  • 5« Bercy, gendre de Desmarets, avait été sous lui intendant des finances, il avait eu toute sa confiance et conséquemment la principale autorité dans ce ministère. Il faut avouer qu’il la méritait par son esprit et sa capacité. » (Saint-Simon, Notes sur Dangeau.) (R)
  • 6Les trois derniers couplets ne se trouvent que dans Lyon BM, MS1674.

Numéro
$0005


Année
1715 (Castries)




Références

Raunié, I, 22-27 - Clairambault, F.Fr. 12695, p. 688 -Maurepas, F.Fr.12628, p.115-20 -  F.Fr.12796, f°34v-37v - F.Fr.15131, p.23-33 -F.Fr.15152, p.120-32 - F.Fr.15159, f°30r-32r -  Arsenal 2930, p.121-29 - Arsenal 3115, f°136v-139r - Arsenal 3133, p.31-47 -Maurepas, F.Fr.12645, p.146-47 (trois derniers couplets) -  Mazarine MS 2163, p.219-27 - Mazarine Castries 3981, p.290-98 - Lyon BM, MS1674, f°93r-95r - Toulouse BM, MS 855, f°66r-70r - Pièces libres de M. Ferrand (Londres, 1738) éd. de 1747, p.100-06


Notes

Ci-gît 1057