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Entretien d’Agenor Selim, bacha de Bender et d’Osmin, son confident,

 

Sur les entretiens du Roi avec Mme de la Tournelle

                    Agenor1

Non, la mort, cher Osmin, n’a rien d’affreux pour moi.

Je la vois s’approcher sans trouble et sans effroi.

J’ai tout perdu ; Zélide à mes vœux est ravie.

Rien ne peut désormais m’attacher à la vie ;

 

                    Osmin

M’en croirez-vous, Seigneur, de pareils sentiments

Ne sont bons, selon moi, qu’au pays des romans.

A quelque affreux malheur que le destin vous livre,

C’en serait un plus grand si vous cessiez de vivre.

 

                    Agenor

Quoi ! dans tout le sérail n’était-il point d’objet

Capable de fixer l’inconstant Mahomet ?

Et si d’un changement il pouvait être avide

Eût-on cru que son choix tomberait sur Zelide ?

Que de raisons semblaient m’en devoir garantir.

Mais aux plus fortes lois loin de s’assujettir,

Ce devoir qui retient le commun des humains

Ne fut dans aucun temps le frein des souverains.

C’est à nous d’approuver tout ce qu’ils veulent faire

Et si nous les blâmons, il faut du moins nous taire.

 

                     Agenor

Je connais ce devoir, Osmin, et c’’est pourquoi

Le jour est maintenant un supplice pour moi ;

Aux regards du Sultan, forcé de me contraindre,

Il jouit de mon bien sans que j’ose m’en plaindre.

Fier de son bonheur, il semble au fond du cœur

Se faire un jeu cruel d’irriter ma douleur.

Chaque jour, de Zelide il relève la gloire

Et par mille présents il assure sa victoire.

C’est là, je l’avouerai, la source de l’ennui

Qui m’a réduit au point où je suis aujourd’hui.

 

                     Osmin

Eh quoi ! Seigneur, que ce coup vous accable ?

La perte d’une femme est-elle irréparable ?

Jeune, aimable, bien fait, est-il quelque beauté

Dont vous puissiez jamais vous trouver maltraité ?

Croyez-moi, prévenez le sort qui vous menace,

Que d’un frivole amour le souvenir s’efface ;

Abandonnez Zelide à tous ces vains honneurs

Qu’à son gré le Sultan, comblé de ses faveurs,

L’accable de ses biens, qu’il la fasse duchesse ;

Vous, vivez, et portez ailleurs votre tendresse.

Mais tâchez cependant de faire un si bon choix…

 

                    Agenor

Penses-tu, cher Osmin, qu’une seconde fois

Je doive m’exposer à la peine cruelle

Que dans un coeur sensible excite une infidèle ?

Non, non, si le Ciel veut me rappeler au jour

Je saurai me soustraire au pouvoir de l’amour,

Et désormais, exempt de ses vaines alarmes,

D’un sexe suborneur défier tous les charmes.

 

                    Osmin

Tous ces projets sont vains, il faut s’exécuter.

Seigneur, commencez donc par tâcher d’écarter

Ce chagrin obstiné qui vous ronge et vous tue

Et ranimez enfin votre force abattue.

Mais ce n’est point assez ; pour mieux vous dégager

Il faut servir l’État dans son présent danger

L’Euphrate teint de sang, la campagne dernière

A Kouli-Khan à peine a servi de barrière.

Ce terrible ennemi, déjà fier conquérant,

A semblé jusqu’ici triompher en courant.

Des généraux de nom, agresseurs téméraires,

Ont fait périr sans fruit nos braves janissaires ;

Le Croissant sous ses coups commence à chanceler

Et c’est à le servir qu’il faut vous signaler.

En vengeant les affronts dont la Porte est flétrie

Vous servirez ensemble, et vous, et la patrie,

Et dans le sang persan éteindrez un désir

Qui se rallumerait cent fois dans le loisir.

 

                     Agenor

De tes conseils, Osmin, je goûte la sagesse.

Ainsi, loin de pleurer une ingrate maîtresse,

De mon cœur sans retour je la vais effacer.

Si pourtant le Sultan pouvait y renoncer,

Dans les bras d’un amant orné du diadème

Au fond du cœur encor je suis sûr qu’elle m’aime,

Et peut-être bientôt, contents et réunis…

Mais non, ces vains désirs sont à jamais bannis.

De ma faiblesse, enfin, je sens que je suis maître.

Avec ma liberté mes beaux jours vont renaître

Et j’espère bientôt, affrontant les hasards

Affermir mon triomphe à la suite de Mars.

 

 

  • 1Entretien d’Agenor Selim (Le duc d’Agénois, amant de Mme de la Tournelle), bacha de Bender et d’Osmin, son confident, le premier réduit à l’extrémité par le chagrin que lui a causé la perte de Zélide (Mme de La Tournelle, à présent duchesse de Châteauroux), sa maîtresse, enlevée par le Grand Seigneur (le Roi).

Numéro
$4877


Année
1744 janvier




Références

Clairambault, F.Fr.12711, p.11-14 -  Maurepas, F.Fr.12647, p.7-10