La Naissance d’Arouet
La naissance d’Arouet
Apollon prit un jour
Du goût pour la Folie :
« Déesse, lui dit-il, j’ai pour vous de l’amour.
Et moi je vous trouve joli,
Répliqua-t-elle. Allons, que l’hymen nous engage. »
(Sans la Folie eût-on connu le mariage ?)
Grossesse vint au bout de quelque temps ;
Que de ravissements,
Quelle réjouissance !
« Je veux, dit Apollon,
Que cet enfant prime au sacré vallon,
Qu’il surpasse dès sa naissance
Poètes présents et passés
Quoi ! dit la Folie ; est-ce assez ?
Je veux qu’il ait mon air, mes traits, ma ressemblance,
Et que l’on reconnaisse en lui seul ma puissance. —
Non, mon feu, reprit l’un, se verra dans ses yeux,
Il sera mon portrait et point du tout le vôtre. —
Puisque vous m’obstinez, dit l’autre,
Je prétends qu’il soit fol, même fol furieux. »
Leurs querelles bientôt se virent terminées,
Et pour les accorder tous deux,
Le grand maître des destinées
De chacun remplit le souhait :
La Folie au Parnasse accoucha d’Arouet.
Raunié, III,104-05 - Arsenal 3128, f°185r-185v