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Sans titre

Dans mon petit laboratoire1
Nommé le Palais de Cypris
Logent les filles de Mémoire
Et les amours les mieux appris.

Celle de qui j’écris l’histoire
Est la Messaline du temps ;
J’en veux éterniser la gloire
Par des éloges éclatants.

Je la choisis pour cet hommage
Je veux lui rendre ce devoir
Par préférence à l’avantage
De son sang et de son pouvoir.

Faisons donc passer en revue
Tous les coeurs blessés de ses traits ;
Montrons-en la vérité nue
Par les plus fidèles portraits.

J’entends déjà l’artillerie
Tirer sur elle comme il faut
Pour signal que toute sa vie
Elle soutienddra bien l’assaut.

Un jeune chevalier de Malte
Surpris d’entendre le canon
A la galère fit faire halte
Pour voir s’il faut combattre ou non.

Au lieu d’un Turc inexorable
Une belle s’offre à ses yeux.
Turc, dit-il, va t’en au diable
Je prétends faire ici mes voeux.

Bientôt il est en son absence
Par duc et neveu supplanté
Le fils d’un maréchal de France
Achève l’infidélité.

Dans un séjour doux et tranquille
Elle fait conduire ses pas
Et les champs ainsi que la ville
Sont les témoins de ses ébats.

Un ministre cherche à lui plaire
La coquette approuve ses feux
Tous les jours un nouveau mystère,
Toutes les nuits de nouveaux jeux.

Après paraissent sur la scène
Robins, financiers et commis ;
Chacun lui chante son antienne,
Elle y répond ; tout est admis.

Arrive la triste nouvelle
Qu’est occis un de ses amants.
Elle dit au courrier fidèle :
Pour un mort mille…

Même jour sans cérémonie
Elle remédie à son mal
En acceptant une partie
Avec un prince dans un bal.

Près d’un couvent de solitaires
Dans un agréable réduit2
L’amour célèbre ses mystères ;
C’est la belle qui les conduit.

Une pétulante jeunesse,
Petits-maîtres à grand fracas
Près d’elle folâtrent sans cesse,
Sans respect pour tous ses appas.

Mal vient par plus d’une manière ;
On consulte le médecin ;
Il dit que les eaux de Plombières
Sont un remède souverain.

A partir on est fort habile,
On va loin chercher sa santé,
On la trouve de ville en ville ;
Grands dieux, quelle prospérité !

Mais lassée d’être vagabonde,
A Strasbourg on finit son cours
Comme une ville fort féconde
Pour les jeux et pour les amours.

On y trouve un prélat aimable
Qui pour finir tout compliment
Lui donne son lit et sa table,
Et le tout fort dévotement.

D’un housard on dit par la ville
Qu’il fait trois coups sans déconner ;
Ce personnage est fort habile,
Il le fait neuf sans s’étonner.

Le premier jour ce galant homme
La rendit par duplicata
Comme a fait sa patronne à Rome
Lassata non satiata.

Sa grosse soeur, la tétonnière,
Nommé autrement la Bouillon,
Sans prendre garde à la manière
Voudrait tâter du goupillon.

Mais dès lors qu’elle fait la mine,
On psalmondit une chanson ;
On la prend pour la concubine
De tous les goujats de Pluton.

C’en est assez, je veux me taire.
S’il fallait que je dise tout,
Par ma foi j’aurais trop à faire
Et ma patience est à bout.

  • 1Sur l’histoire de la Messaline du temps, chantée alors dans les Philippiques du poète La Grange, ouvrage qui a pensé lui coûter la vie de la part du duc d’Orléans, Régent. (BM Lyon, MS1552)
  • 2Mme de Berry logeant au Luxembourg où il n'y a qu'un mur mitoyen de son jardin à celui des chartreux.

Numéro
$1680


Année
1720




Références

Arsenal 2930, p.361-68 - Arsenal 3115, f°201r-203r - Lyon BM, MS 1552, p. 346-52 - Toulouse BM, MS 855, f°167-170