Aller au contenu principal

Les Destinées d’une fille à la mode

Les destinées d’une fille à la mode
Quelle autre, dis-le-moi, Chloris,
A d’aussi belles destinées,
En attendant que les guinées
Roulent leur pactole à Paris ?
L’un te couvre contre la bise,
L’autre paye un quart de ton lit ;
Cléon fait blanchir ta chemise,
Tandis que Damon la flétrit.
Un riche Anglais en perspective,
Deux payants à l’alternative,
Un entreteneur écarté
Par tes projets sur la Tamise,
Qui déjà cinq fois t’a reprise
Dont tu fatiguas la beauté.
Dès l’aube aller, d’un pas avide,
Faire un déjeuner conséquent,
Réparer ta force en trinquant
Pour t’ébattre au dîner d’Alcide,
Souper chez Chrésante pourtant…
Et puis coucher avec Placide;
Relayé, de crainte de vide,
Par un autre histrion sautant :
Il est onze heures, on répète,
Et, laissant Placide abattu,
Tu pars, le projet dans la tête
De lui donner un substitut ;
Et, quoique tes regards malades
Ne présagent aucun besoin,
Tu fais répéter dans un coin
Le plus fort de tes camarades.
Le soir, au théâtre, à l’écart,
Pendant que Melpomène crie,
Tu te sers d’un autre poignard
Que celui de la tragédie.
Courant la foire Saint-Germain,
Ne te voit-on pas dans la presse
D’une main donner ton adresse,
En prendre une de l’autre main ;
De quelque échappé de Bicêtre
Faire l’emplette sur les quais,
Tout en sortant des bras du maître,
En attendant son grand laquais,
Peloter avec ses jockeys ;
Te vendre à Purgon pour du nitre,
A Chiron pour des frictions,
Avoir un amoureux en titre
Et vingt autres en fonctions,
Et lorsque ton coiffeur apprête
Un diadème à tes appas,
Le prier de laisser ta tête
Pour te taper un peu plus bas ?
A vingt suivants jeter dans l’ombre
Le rayon brillant de l’espoir,
D’un goût sûr choisir dans leur nombre
Un coucheur tout neuf, pour le soir ;
Laisser tomber de la fenêtre
Un souris quêteur d’un écu,
Pour moins encore aller peut-être
Étaler les lys de ton c… ?
De peur que ta rage ne chôme,
T’amuser avec ton valet,
A l’intention d’un bel homme
Que tu lorgnas chez Nicolet ;
Visant des baigneurs à la cuisse,
Toiser de l’œil un instrument ;
A Courbevoie payer un suisse,
Pour qu’il te b… carrément ;
Et donner, dans les intervalles,
Pour montrer tout ce que tu vaux,
A tes rivales des rivaux,
A tes amoureux des rivales.

Quelle autre, dis-le-moi, Chloris,
A d’aussi belles destinées,
En attendant que les guinées
Roulent leur pactole à Paris ?

Numéro
$1433


Année
1777




Références

Raunié, IX,121-24