La tant pitoyable romance Des aventures désastreuses et comiques De l’infortuné petit Poinsinet, Surnommé La Victime.
La tant pitoyable romance
Des aventures désastreuses et comiques
De l’infortuné petit Poinsinet,
Surnommé La Victime.
Histoire véritable.
Air : Du cantique de Saint-Roch
Petits et grands, écoutez l’aventure
De Poinsinet, le mauvais garnement.
Sur lui, dit-on, s’épuisa la Nature
En ridicule, en esprit nullement.
Quoiqu’on le chante,
Quoiqu’il se vante,
Ce n’est pourtant
Qu’un singe de Quétant1 .
Il fit d’abord un opéra-comique,
Que de son chef il nomma Totinet2
Le pauvre auteur eut un sort bien tragique :
Ce fut alors qu’on siffla chez Monnet3 .
Malgré les gardes,
Force nasardes,
Comme aujourd'hui,
Pleuvaient déjà sur lui.
Huit jours après, dégoûté de la Foire,
Notre imbécile avec un air riant,
Ivre déjà de sa prochaine gloire,
Vint aux Français offrir l'Impatient4 .
Mais Dangeville,
Belcour, Préville,
Gaussin, Grandval,
Sarrazin, Bonneval.
Lavoy, Brillant, Paulin, la Thorillière,
Dubois, Dubreuil, le Kain, Defchamps, Clairon,
Armand, Drouin et fa moitié très chère,
Le Grand, la Mothe, et la Noue et Baron,
Bref l'assemblée,
Quoiqu'éveillée,
En l'écoutant,
Tout dormit à l'instant.
De beaux esprits une troupe choisie
Voulut un jour le traiter chez Landel5
« Hé ! bien d'accord ! je me sens du génie,
Allons, Messieurs, j'accepte le cartel. »
Il fut si bête.
Si malhonnête,
Qu'il s'endormit
Sous la table, et vomit.
Le lendemain, un saint jour de dimanche,
Notre glouton, que pressait l'appétit,
Court inviter, pour prendre fa revanche,
Les mêmes gens à souper chez Petit6 .
Mais la pécore,
Plus bête encore,
Se rendormit
Sous la table, et vomit.
Ne suis-je pas, dit-il, bien misérable ?
J'ai fait des vers ; Fréron seul m'a loué ;
J'ai de l'esprit, et je fuis sobre à table.
Mais on m'enivre, et je suis bafoué.
Liqueur funeste,
Je te déteste.
Jusqu'au tombeau,
Je me condamne à l'eau.
Le lendemain, vis-à-vis la Fontaine
De l'Échaudé, si fameuse au Marais,
Ses vrais amis, Préville et Clerfontaine7 ,
Pour s'amuser vous l’emmènent exprès.
Qui l'eut pu croire ?
Il osa boire,
Tant qu'il dormit
Sous la table, et vomit.
Le Malheureux était près d'une Dame,
Dont il salit la robe et le jupon ;
Préville alors s’applaudissait dans l’âme
De n'avoir pas apporté son manchon
Car notre ivrogne,
Plein de Bourgogne,
Avait un jour,
Vomi tout à l'entour.
Admis alors à souper chez des filles8
Du mauvais ton, près du Palais-Royal,
Le Scélérat qui les trouvait gentilles
Quoiqu'ivre mort, voulut les mettre à. mal.
Quand d'aventure,
Une figure
De faux Major,
Vint troubler son transport.
Or, admirez son merveilleux courage !
Le pauvre Diable alors tout éperdu,
Malgré sa peur, croyant avoir fait rage,
S'imagina qu'il s'était bien battu ;
Que son épée,
De sang trempée,
Au faux Major
Avait donné la mort.
Le lendemain criant miséricorde,
Il se plaignait de son trop de valeur :
On lui prouva qu'il méritait la corde,
Qu'on le pendrait pour avoir eu du cœur.
Sans rien répondre,
Il se fit tondre :
Être tondu,
Vaut mieux qu'être pendu.
Depuis ce temps le pauvre petit homme,
Ayant partout l'affront d'être sifflé,
Fut Gouverneur, Lavette, Écran, Fantôme9 .
mystifié, battu, croquignolé.
Courant les Garces,
Donnant des farces,
Souvent loué
Et toujours conspué.
Or, écoutez de plus grandes merveilles !
UnNégromant, dit Coste d'Arnobat10 .
Un beau matin étonna ses oreilles,
Par certains mots empruntés du Sabbat,
Sur sa parole,
Le petit drôle,
Crut être aux yeux
Invisible en tous lieux.
Ce fut avant le Warwick de la Harpe,
Lorsqu'au Théâtre on sifflait Astarbé11
Que tout à coup amoureux d'une Carpe12
Dont il cuidait être le Sigisbé,
Notre invisible.
Imperceptible,
Voulut, dit-on,
Se changer en Triton.
Enfin lassé de tant de Personnages,
D'un Lord Anglais épousant les Destins,
Il entreprit de longs pèlerinages,
Vers les Pays qu'on nomme Ultramontains.
Il vit Florence,
Parme, Plaisance,
Rome, en un mot.
Dont il revint plus sot.
Par son retour à l'Opéra-Comique,
Il éclipsa Sedaine et Taconnet13
Gille amoureux, chef-d'œuvre amphigourique
Par son succès fit pâlir Nicolet.
Mais la Bagarre,
Parut si rare,
Qu'elle effaça
Presque Sancho Pança.
Sancho Pança fut suivi de Cassandre,
Qui fut suivi d’Apelle et du Sorcier,
Auquel Sorcier on ne put rien entendre.
Tom Jones vint qui les fit oublier.
L'Ogre malade,
Noble parade,
D'un goût nouveau
Fit tomber Ramponeau14 .
Rassasié des lauriers de la Foire,
Notre Héros au tripot des Français,
Voulut enfin reparaître avec gloire,
Et cette fois il eut un grand succès.
Le téméraire,
Vil plagiaire,
Prit mot pour mot
Son Cercle à Palissot.
Croyant régner sur le sommet du Pinde,
Être Vadé, Molière, et cetera,
De la piteuse et dolente Ernelinde.
Il osa bien profaner l'Opéra.
Mais à ce Drame,
Sans feu, sans âme,
La Cour bâillait,
Et la Ville sifflait.
Un Roi du Nord vint aux bords de la Seine :
Pour le fêter du mieux que l'on pouvoir,
On lui fit voir Poinsinet et Sedaine,
On lui montra Sedaine et Poinsinet,
Le jeune Prince,
Dans sa Province,
S'en retourna
Tout surpris de cela.
Vain d'un honneur qu'il ne méritait guère,
Notre Embryon publiait sur les toits,
Qu'il était digne, aussi bien que Voltaire,
De célébrer les Héros et les Rois.
Tant d'arrogance,
Tant d'insolence
De tout Paris
Redoublait le mépris.
Depuis ce temps, à titre de Victime,
Le petit Monstre à des soupers Bourgeois
Se voit admis ; ce n'est pas qu'on l’estime,
On veut du moins le berner une fois.
Telle est l'histoire,
Pleine de gloire,
Du Marmouset,
Appelé Poinsinet.
- 1Auteur de bouffonneries et de parades.
- 2Parodie de Titon et l’Aurore.
- 3Directeur de l’Opéra-comique.
- 4Comédie en un acte et en vers.
- 5Traiteur, rue Mazarine.
- 6Traiteur, rue des Boucheries Saint-Honoré.
- 7Mystificateurs subalternes.
- 8Rue Baillet, près la rue e l’Arbre-sec.
- 9Ce couplet est l’abrégé des mystifications du petit Poinsinet, qui crut être successivement Gouverneur du fils du Roi de Prusse, Ecran des petits appartements du Roi, Cuvette, Spectre, Triton, etc. Comme Lazarille de Tormes
- 10Mystificateur que l’on fit regarder au petit Poinsinet comme un grand magicien.
- 11Tragédie de M. Colardeau.
- 12Allusion à la carpe que le petit Poinsinet entendait parler chez Le Kain.
- 13Auteurs d’opéras bouffons et de farces.
- 14Ce Couplet indique la plupart des Parades du petit Poinsinet.
Poésies satyriques, p.99-107