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La Mort du duc d’Orléans

La mort du duc d’Orléans1
On peut mériter des lauriers
Sans traîner après soi les horreurs de la guerre.
Qu’on ne nous vante plus ces funestes guerriers
Qui du sang des mortels faisaient fumer la terre,
Ces ministres sanglants des cruautés du sort
Voulaient voir en tous lieux leur fureur assouvie ;
Ils portaient dans leurs mains l’instrument de la mort ;
Louis portait toujours le soutien de la vie.
Ce héros de l’humanité
A fait voir au siècle où nous sommes
Un exemple accompli, digne d’être imité
Par toute la postérité.
Les uns mettaient leur gloire à détruire les hommes,
Mais toi, qui sur leurs maux aimais à t’attendrir,
Tu mis ta gloire à les nourrir.
Ta présence apportait l’abondance et la joie ;
A la cruelle faim tu dérobais sa proie,
Sans cesse on voyait tes bienfaits
Et ta pieuse vigilance
Du vice sans pudeur arrêter les effets,
Ou y prévenir, avec prudence,
Les perfides conseils qu’apprêtait l’indigence
Pour mieux faire tomber dans de honteux filets
La crédule et faible innocence.
Quelle foule de malheureux
Auraient longtemps gémi sans tes soins généreux !
Objet de nos regrets sincères,
Tu mérites les pleurs des enfants et des pères.
Pleurez, pleurez sur son cercueil,
Votre père n’est plus ; familles désolées,
Jamais d’un aussi juste deuil
Vos âmes n’ont été troublées ;
Votre père n’est plus : il conservait ses jours
Pour vous prodiguer des secours ;
Mais la mort, s’indignant de ses soins magnanimes,
A voulu d’un seul coup frapper mille victimes.
Cher prince, dont le ciel couronne les vertus,
Hélas ! combien ta mort fait renaître d’alarmes !
Le pauvre et l’orphelin ne te verront donc plus.
Quelles mains désormais vont sécher tant de larmes !
La pénitence et la douceur
Ont illustré David, bien plus que sa valeur,
Et Salomon son fils consacrant sa richesse
A bâtir un temple au Seigneur,
A d’immenses trésors préféra la sagesse.
On sait de son esprit quelle fut la hauteur,
Il connut les secrets de la nature entière,
Les cèdres du Liban et la simple bruyère
De ce vaste univers lui découvraient l’auteur2 .
Louis, formé sur ce modèle,
Vient de nous retracer son génie et son zèle,
Sa sainte obscurité fit toute sa splendeur,
Et dans l’abaissement il mettait sa grandeur.
Aux pieds du Dieu vivant dont l’amour le dévore,
Confondu dans la foule en un temple écarté,
Il cache ses vertus, il veut qu’on les ignore ;
Mais ses rares vertus le trahissent encore,
Et quand il croit jouir de tant d’obscurité,
Il frappe tous les yeux par plus d’humilité.
Anges, qui dès longtemps avez marqué sa place,
Recevez l’âme de Louis,
Et vous, saints rois, héros de cette auguste race,
Sur un trône éternel contemplez votre fils.
Comme vous sur la terre il aima la justice,
Il changea sa pourpre en cilice.
La timide vertu l’approchait sans rougir,
Lui parlait avec assurance,
Et contente de sa préférence
Elle revenait sans gémir.
Qu’il veille donc, ce prince aimable,
Sur ce Roi bien-aimé dont nous suivons les lois,
Qu’il demande au Seigneur une santé durable
Pour ce nouvel enfant, le sang de tant de rois.
Et toi, prince, son fils, qui fermas sa paupière,
Toi qui vins recueillir ses pieux sentiments,
Tu l’as vu s’attendrir à son heure dernière ;
Il était toujours père en ces tristes moments.
Tel on voit le soleil, terminant sa carrière,
Nous consoler encor par sa douce lumière,
S’il paraît pour un temps s’éclipser à nos yeux,
Il brille toujours dans les cieux,
Et conserve pour nous sa chaleur toute entière.
En un si grand sujet de pleurs,
Daigne agréer ces vers que ma main te présente ;
Par une peinture touchante,
Prince, je n’ai pas craint d’augmenter tes douleurs.
Pour un cœur aussi bon la douleur est bien chère…
Mais, ma lyre, suspends des sons trop affaiblis,
J’ai trop pleuré la mort du père
Pour entreprendre encor de célébrer le fils3 .

  • 1 - « Le duc d’Orléans, qui avait fui le monde et tout abandonné à son fils, s’était réservé un million par an qu’il distribuait aux pauvres, et s’était mis en pension, pour un louis par jour, à l’abbaye Sainte Geneviève, tant pour lui que pour un petit laquais qu’il avait conservé. Dans les derniers temps, il eut un cuisinier sans augmenter sa dépense. Pour bien comprendre la version des Septante et expliquer les énigmes de l’Écriture, il y étudiait le grec, le syriaque, l’hébreu et le chaldéen. Il dévorait les énormes volumes des commentateurs de la Bible qu’on voit à la Bibliothèque Sainte Geneviève, et composait lui-même des volumes in folio de commentaires semblables. Le verset d’un psaume l’occupait souvent des mois entiers et lui inspirait une dissertation de cent pages ; il en a légué plus de mille de cette sorte par testament aux dominicains. En deux mois, il était devenu si grand saint que Jomard, curé de Versailles, qui l’avait confessé, s’avisa de publier ses confessions en assurant qu’il ne l’avait jamais trouvé coupable d’un seul péché véniel. » (Mém. De Richelieu.) (R)
  • 2Mgr le duc d’Orléans, ainsi que Salomon, était fort versé dans la botanique, il avait un jardin qu’il prenait plaisir à cultiver pour le soulagement des pauvres. (M.) (R)
  • 3Vers présentés à Leurs Altesses Sérénissimes Mgr le duc et Mme la Duchesse d’Orléans par leur très humble serviteur Leclerc de Montmercy. (M.) (R)

Numéro
$1112


Année
1752

Auteur
Leclerc de Montmercy



Références

Raunié, VII,204-08