Le Démocrite
Contre les défauts d’autrui
Jamais mon cœur ne s’irrite.
Sur les hommes d’aujourd’hui,
Avec du vin je médite.
Je me ris, je me ris d’eux,
Je suis un vrai Démocrite.
Je me ris, je me ris d’eux,
Quand je bois, je suis heureux.
Qu’un avare sur son argent
Et la nuit et le jour veille,
Qu’un époux soit mécontent,
Qu’il ait la puce à l’oreille,
Je me ris…
Je me tiens à ma bouteille.
Qu’un seigneur soit à la cour
Attaché comme un esclave,
Qu’un vieillard fasse l’amour,
Qu’un poltron fasse le brave,
Je me ris…
Tout mon bien est dans ma cave.
Qu’un savant musicien
Sur un rondeau se morfonde,
Qu’un mathématicien
Dans Euclide se confonde,
Je me ris…
Je sais que ma table est ronde.
Qu’au milieu des champs de Mars
Les enfants de la victoire
Aillent parmi les hasards
Chercher une fausse gloire,
Je me ris…
Je mets la mienne à bien boire.
Qu’un petit maître en courroux
Des femmes cherche à médire,
Qu’un amant sombre et jaloux
Sans cesse rêve et soupire,
Je me ris…
La soif est tout mon martyre.
Que les sots battent des mains
Sur de fades vaudevilles,
Et préfèrent aux Romains
Tous les quolibets de Gille,
Je me ris…
Je les crois tous imbéciles.
Qu’un connaisseur entêté
Soit engoué de sonate
Et de Lulli si vanté
Trouve la musique plate,
Je me ris…
Mon glou glou bien plus me flatte.
Qu’en tout le goût soit gâté,
Que les grâces de la danse
Cèdent à la nouveauté
Des bizarres contredanses,
Je me ris…
Je bois à cette cadence.
Arsenal 2937, f°219r-220r